Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/590

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cliens, et il ajoute : « On aurait dû laisser à ces corbeaux la large robe qui les enveloppait : depuis qu’ils ne l’ont plus, je ne vois que leurs griffes ! » Combien on était loin des douces illusions de Dinocheau, des beaux rêves de Robespierre ! Cette profession de défenseur, qui devait séduire les âmes sensibles et désintéressées, était devenue un métier exploité par des charlatans sans pudeur.

Pendant la période la plus sombre de la révolution, deux causes aggravèrent encore ces abus et portèrent à son comble l’anarchie judiciaire. Nous voulons parler de la suppression des avoués et de l’épuration des défenseurs officieux par le conseil-général de la commune.

Les nouveaux défenseurs, dont nous venons de dépeindre les mœurs, étaient contenus dans une certaine mesure par la présence des avoués. Ces officiers ministériels, qui se recrutaient parmi les anciens hommes de loi, guidaient les plaideurs dans le choix de leur défenseur et les engageaient à confier de préférence leurs intérêts aux anciens avocats qui fréquentaient encore le palais. Mais, sous prétexte de simplifier la procédure et de diminuer les frais de justice, la Convention supprima les avoués que l’assemblée constituante avait institués dans un instant de sagesse. Conformément au vœu émis dès 1790 par Robespierre, la loi du 3 brumaire an II autorisait les parties à se faire représenter par un simple fondé de pouvoirs, et ce mandataire pouvait tout à la fois postuler et plaider. C’était la réunion des fonctions de procureur et d’avocat dans les mêmes mains, et dans quelles mains ! Les nouveaux hommes de loi, libres de toute entrave, allaient exploiter tout à leur aise leurs infortunés cliens.

À cette liberté absolue, illimitée, voici cependant que la Convention apportait une restriction. Pour représenter les parties, pour plaider, point n’était nécessaire d’être instruit, ni honnête ; mais il fallait être bon patriote. Les diplômes étaient inutiles : le certificat de civisme devenait indispensable. En vertu de la loi de brumaire an II, les mandataires des plaideurs ne peuvent se présenter à la barre que munis du fameux certificat, et, quelques jours après, la commune de Paris précise les conditions nécessaires pour l’obtenir. Ce n’est pas chose facile ! Il faut d’abord représenter les quittances des contributions patriotiques ou impôts et un extrait d’enregistrement dans la garde nationale depuis 1790. Ce n’est pas tout. Voici l’essentiel : il faut n’avoir signé aucun écrit contre la liberté, n’avoir fait partie d’aucun club réactionnaire comme les Feuillans ou la Sainte-Chapelle, n’avoir été rejeté d’aucune société populaire. Jacobins ou Cordeliers, depuis leur épuration, n’avoir signé aucune pétition réactionnaire… Pour parler net, ceux-là