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cette citation, parce que nous y trouvons résumées, sous la plume d’un magistrat clairvoyant et instruit par l’expérience, les graves considérations qui, aujourd’hui comme en 1789, rendent nécessaire le maintien de la discipline des avocats.

Mais ces craintes ne furent pas partagées par les membres du comité ; et le candide Dinocheau, qui avait réponse à tout, assurait ses collègues que de tels abus n’étaient point à redouter. Pourquoi, en effet, ne pas s’en rapporter aux principaux intéressés, aux plaideurs eux-mêmes ? Comment les supposer assez peu avisés pour choisir un défenseur malhabile ou malhonnête ? « Ne craignez pas que des intrigans ou de vils solliciteurs s’introduisent dans les tribunaux sous le titre de défenseurs officieux. Laissez aux parties la liberté du choix : l’intérêt se trompe rarement. »

Qui avait raison ? Dinocheau avec son optimisme robuste et ses séduisantes promesses, ou le lieutenant civil avec ses sombres prédictions ? Où était la vérité ? Nous allons l’apprendre en voyant à l’œuvre les nouveaux défenseurs.


II.

Il n’était point question de syndicat, il y a cent ans. Le mot était inconnu, et la chose n’était pas en honneur. Entre les individus et la nation, on ne concevait aucun groupe intermédiaire. Cependant les anciens avocats restaient unis, malgré la dissolution de leur ordre, et continuaient à former une sorte d’association, que nous qualifierions aujourd’hui de syndicat. Groupés autour de leurs anciens, ils tenaient à honneur de conserver intactes les vieilles traditions. Ils s’étaient promis mutuellement d’observer aussi fidèlement que par le passé leurs règles professionnelles, bien qu’elles fussent dénuées de toute valeur légale. On leur avait enlevé leurs privilèges : mais ils ne se croyaient pas déliés de leurs obligations ; et, à défaut du costume qui servait naguère à les reconnaître, les sentimens d’honneur et de délicatesse dont on n’avait pas pu les dépouiller devaient les distinguer, comme les soldats d’un corps d’élite, au milieu de la foule des nouveaux défenseurs.

Férey était le chef incontesté de cette grande famille, le bâtonnier de fait dont tous acceptaient volontairement la paternelle autorité, et sa maison devint le lieu de ralliement de tous ceux qui conservaient le culte de leur profession. Là se réunissaient presque chaque jour Lesparat, Delacroix-Frainville, Delamalle, Bonnet, Gairal, Billecocq.

L’histoire de ces survivans de l’ancien barreau, de ces avocats