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Point du tout. La Constituante, ouvrant à tout venant les portes du prétoire, décrète, le 16 décembre 1790, que la profession de défenseur sera à l’avenir une profession libre. Toute partie aura le droit de se défendre elle-même verbalement et par écrit ; si elle ne veut point en user, elle peut confier sa défense à qui bon lui semblera. Quel que soit son caractère, quels que soient ses antécédens, le citoyen qu’elle aura investi de sa confiance sera admis à la barre.

Avec ces décrets une ère nouvelle s’ouvrait pour le barreau. Au lieu d’être réservé à un corps spécial, soumis à des règles professionnelles, ayant son pouvoir disciplinaire, ses mœurs, ses traditions, son costume, le droit de plaider pour autrui appartenait désormais à tous. Tout citoyen pouvait se présenter à la barre comme mandataire d’un plaideur, sans aucun signe distinctif, en s’affublant pour la circonstance du titre de défenseur officieux.

Telle fut l’œuvre de la Constituante. Il paraît surprenant, au premier abord, que cette assemblée n’ait point épargné les avocats. Leur ordre, en effet, n’inspirait pas les mêmes défiances que les anciens corps judiciaires. Bien loin de nourrir des préventions contre les idées nouvelles, ils avaient pour la plupart salué avec enthousiasme l’avènement de la liberté, et leurs tendances libérales les avaient désignés aux suffrages de leurs concitoyens, si bien que l’on comptait plus de deux cents avocats dans la députation du tiers-état. Non-seulement le barreau était plus largement représenté dans l’assemblée que toute autre profession ; mais ses membres les plus estimés, Tronchet, Target, Camus, du barreau de Paris, — Chapellier, de Rennes, — Thouret, de Rouen, — Bergasse, de Lyon, — Mounier et Barnave, de Grenoble, étaient devenus les chefs de la majorité à la Constituante. Il semble donc que l’ordre des avocats aurait dû traverser sans secousse cette époque redoutable oh. tout se renouvelait ; il semble qu’il aurait dû survivre aux parlemens et à toute l’organisation judiciaire de l’ancien régime.

Et cependant, en allant au fond des choses, on ne tarde pas à démêler les véritables motifs de cette grave réforme ; et pour comprendre comment la Constituante fut amenée à sacrifier l’ordre des avocats, malgré sa popularité et en dépit des services qu’il rendait à la cause de la Révolution, il suffit de nous dépouiller pour un instant de nos idées actuelles et de nous rendre compte de l’état d’esprit des hommes de 1789.

Pour des législateurs prudens, il suffit qu’une institution existe, qu’elle soit ancienne, qu’elle ait une glorieuse histoire, pour qu’elle soit conservée, tout au moins jusqu’à ce que ses vices aient été reconnus. Il en allait tout autrement pour les constituans de 1789 :