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des barons, de toucher au principe de propriété et de faire une loi agraire. Comme l’a dit l’un d’eux, une loi de partage « ne serait pas seulement violente, mais très injuste et plus préjudiciable que la tolérance même de possessions trop étendues et groupées en trop peu de mains[1]. » Ils ne peuvent donc user que de moyens indirects. Sixte IV, renouvelant des prescriptions plus anciennes, permet à tous et à chacun d’ensemencer un tiers des terres incultes, quel qu’en soit le tenancier, monastère, chapitre, noble, personne privée ou publique, à la seule condition de l’avertir et de lui payer une redevance. La campagne reprend vie pour quelques années. De grandes étendues se couvrent de moissons. Mais à peine le pontife disparu, les propriétaires tentent de s’affranchir de cette sorte d’expropriation temporaire. Ils défendent le transport des grains récoltés sur leur domaine, et les rachètent à vil prix. Jules II les menace d’excommunication. Clément VIII maintient les édits en vigueur, et fixe la quotité des fermages dus par les occupans. Pie VI, qui a desséché une moitié des Marais-Pontins, entreprend un nouveau cadastre de l’Agro. Pie VII, changeant de méthode, frappe d’un impôt spécial toutes les terres cultivables situées dans le rayon d’un mille de Rome et qui seraient laissées en jachères, et donne une prime à tout propriétaire qui, dans la même zone, aura planté son terrain ou l’aura destiné à la culture régulière[2]. Ni ces deux procédés, ni tant d’autres efforts n’ayant amené une transformation durable, Pie IX essaie au moins d’encourager les tenanciers à reboiser la campagne. Il ouvre un crédit de 10,000 écus à son ministre de l’agriculture. Tout propriétaire ou fermier recevra, pour cent plus nouvellement plantés, 20 écus ; pour cent oliviers, citronniers ou orangers, 15 écus ; pour cent ormeaux ou châtaigniers, 10 écus. Plus d’un million d’arbres sont plantés en vertu de cette loi. Mais qu’est-ce qu’un million d’arbres dans la campagne prodigieuse de Rome ? Le même pape prend une autre initiative, celle-là d’une vraie hardiesse et d’un haut intérêt. Il veut affranchir l’Agro des servitudes intolérables qui le grèvent. Une foule de droits, dont l’origine est le plus souvent impossible à établir, droits de passage, d’abreuvoir, de glanage, de pacage dans les prés et dans les bois, restreignent, en effet, au profit de la communauté des habitans, le droit du propriétaire, et s’opposent à tout progrès. On peut lire, par exemple, dans de très savans rapports adressés à une congrégation de cardinaux[3], que les trois cinquièmes du territoire

  1. Motu proprio de Pie VII.
  2. Voyez Papes et paysans, par M. G. Ardant ; Paris, Gaume, 1891.
  3. I Papi e l’agricoltura nei domini della S. Sede, par M. Milella ; Roma, Pallotta, 1880. Les Riflessioni sull’ agro romano, qui terminent le volume, sont une remarquable dissertation, écrite avec beaucoup de compétence et d’esprit romain.