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exemple, d’élever une famille en demeurant fidèle au sol, et rendent aux autres leur condition si précaire. J’en indiquerai sans doute plusieurs, çà et là. Mais la grande raison de ce malaise se trouve dans l’excès de l’impôt dont la campagne est grevée.

« N’est-ce pas lamentable ? me disait un agriculteur du nord italien. Quelle prospérité, quel esprit d’entreprise, quel progrès voulez-vous attendre d’un pays où le sol est imposé à 33 pour 100 du revenu net ? Et je ne parle pas des maisons, pour lesquelles, grâce aux évaluations fantaisistes du fisc, nous payons quelquefois jusqu’à 50 pour 100 et 60 pour 100 du revenu réel. Le comte Iacini a pu écrire en toute vérité que l’État, les provinces, les communes, n’imposent pas la terre, mais qu’ils la dépouillent. »

Joignez à cela l’usure, encore très répandue, malgré la création des banques populaires, l’insuffisance et la mauvaise qualité de la nourriture qui engendre, dans le nord, l’affreuse maladie de la pellagra, le déplorable état d’une foule d’habitations rurales, que le propriétaire n’a pas les moyens ou l’humanité de réparer,.et, sans plus insister sur les causes, vous comprendrez comment le socialisme a trouvé ses premiers adeptes, en Italie, dans les classes agricoles. Le paysan n’avait pas souhaité le renversement des régimes anciens ; il n’avait pas été en lamé par la propagande républicaine des mazziniens ; il est demeuré très indifférent à ses droits politiques ; mais, depuis vingt ans, il écoute de plus en plus les prédicateurs des doctrines socialistes, ceux qui lui tiennent ce langage, approprié à son éducation rudimentaire : — « Tu n’as rien ; ils ont tout : prends leur place. » — La Lombardie, la Vénétie, l’Emilie, les Romagnes, comptent des groupes ruraux très fortement imbus de socialisme. Le mal se répand. Des désordres annuels le manifestent sur un point ou sur l’autre. Et ce ne sont pas les journaux, peu lus par ces populations ignorantes, qui contribuent le plus à cette propagande, ni même les discours avoués des chefs, comme les députés Costa et Maffei : les vrais, les plus dangereux agens du socialisme rural, ce sont les instituteurs primaires[1].

Malgré cette part disproportionnée qu’ils prélèvent sur le produit du sol, ni l’État, ni les provinces, ni les communes ne sont riches. Il n’est pas nécessaire d’être économiste pour l’observer. Un sous-secrétaire d’État au ministère de l’instruction publique déclarait récemment, devant les électeurs de Gallarate, que 348 communes,

  1. Voir la conférence faite à la société agricole de Bologne par le comte Joseph Grabinski : lo Sciopero e la questione sociale nelle campagne. Bologne, 1892 ; Generelli.