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jachères ; tantôt on épuise jusqu’au bout leur force productrice, on les sème deux fois, trois fois, quatre fois de suite, pour les laisser reposer pendant un temps égal. De toute manière, la nature reprend ses droits. L’herbe repousse, et la poésie sauvage avec elle. Nulle part autant que là vous ne trouverez, au printemps, l’asphodèle, le narcisse, la centaurée, des chardons d’une infinie variété, ou, dans les endroits bas, les orchis, les renoncules, les joncs à fleurs et l’iris jaune.

À côté des bergers, il faut donc les laboureurs, les semeurs, les moissonneurs de blé. L’Agro ne les possède pas, n’ayant pas de villages. Il les appelle du dehors, aux époques voulues. Ceux-ci arrivent par bandes, des montagnes de la Sabine, des Abruzzes des Romagnes, sous la conduite d’un chef, le caporale, qui les a engagés, et a traité, de son côté, avec le fermier du domaine seigneurial. Ils viennent pour labourer et émietter la terre pour la semer, ils sont payés un franc ou 1 fr. 50 par jour et non nourris, logés comme on peut, souvent très mal, et, après un mois, ils repartent. Une autre troupe de ces travailleurs vagabonds se charge de la moisson, en juin. Mais c’est l’été, la saison mortelle. Il importe de couper vite et de mettre à l’abri la récolte de plusieurs centaines d’hectares, surtout de ne pas vivre trop longtemps en contact avec la terre surchauffée. Les hommes se divisent en gavette de trois moissonneurs et un lieur de gerbes. Ils moissonnent pendant onze jours, pas un de plus. Si la besogne n’est pas achevée, d’autres gavette la finissent. Ils reçoivent 25 francs pour eux quatre et pour toute la durée de l’engagement, mais, en outre, un kilogramme de pain par jour, un litre de vin, du fromage et des entrailles de porc ou autre viande. Après le onzième jour, tout le monde s’enfuit, et, à moins que de nouveaux arrivans ne prolongent d’une ou deux semaines la vie intense de ce coin de l’Agro, la tenuta demeure presque déserte. Les brebis et leurs gardiens sont partis pour les hauts pâturages de la Sabine. Il ne reste que les gardiens du gros bétail, en nombre infime, tous robustes, qu’une longue sélection a plus ou moins protégés contre le climat. Et la campagne brûlée, torride, bourdonnante du vol d’innombrables insectes qui s’acharnent contre les troupeaux, reste vide et désolée jusqu’à la fin d’août, protégée contre le retour des hommes par sa terrible et très ancienne maîtresse et reine : la fièvre.

On a écrit bien des volumes, en Italie, sur cette question de la malaria. Elle est l’objet d’études incessantes de la part des célébrités médicales, et de discussions sans cesse renaissantes. Elle offre mille points de controverse. Elle se pose, non-seulement pour le territoire de Rome, mais pour un grand nombre de localités