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partout le même architecte hanté par les modèles de la renaissance. Et l’aspect est celui d’une ville d’hier, sans monumens, — car les 200 mètres de façade du ministère des finances n’en constituent pas un, — et qui pourrait également se rencontrer en Europe, en Amérique, ou dans l’enceinte d’une exposition universelle de n’importe où. Certaines gens s’en déclarent révoltés. Ils ont une puissance d’indignation que je n’ai pas. Toutes ces maisons peuvent être plus ou moins bien distribuées ? Que nous importe ? Nous ne les habitons pas. Elles jurent avec les anciens quartiers ? Ceux-ci n’ont-ils pas été neufs autrefois, et voisins de constructions antérieures ? Il me semble qu’à moins d’avoir sans cesse présente l’image de la colonne Trajane ou du Panthéon, — qui n’est pas d’Agrippa, — on peut voir, sans mauvaise humeur, ces rues, pleines d’air et d’éclat, à défaut de passé. Si l’architecture manque un peu d’invention, les pentes se chargent de rompre l’uniformité. Elles mettent des jours entre une corniche et l’autre, font saillir les angles, étagent les terrasses. Le goût des lignes et de la proportion est partout remarquable. Et la pâleur ardente des façades qui grimpent est d’un effet charmant, sur le ciel italien. D’ailleurs, très peu de maisons fermées, ici, et beaucoup de boutiques ouvertes. Nous sommes dans un bon coin des quartiers neufs.

Rue du Vingt-Septembre, en face du ministère des finances, par une échappée, j’aperçois une première bâtisse inachevée, abandonnée, lamentable avec ses murs inégaux et noircis au sommet. Dans la rue du prince Humbert, très longue et parallèle au chemin de fer, plusieurs maisons sans boiseries aux fenêtres, ou avec des boiseries, mais toutes les vitres brisées. Deux ou trois sont barricadées à l’intérieur. En travers de chaque baie, on voit des planches croisées et clouées. Je m’informe. « Vous supposez bien, monsieur, que tant d’appartemens déserts tentent les gens qui n’en ont pas. Un pauvre diable ouvre une porte, visite l’immeuble, le trouve à son goût. Il appelle sa famille. On s’installe. Personne ne veille. Les voisins sont indulgens. Cela dure un peu de temps. Puis un agent des finances vient à passer. « Oh ! oh ! un étage loué ! Imposons vite ! » La feuille d’impôts est envoyée diligemment au propriétaire, deux fois sur quatre à la direction de la banque nationale, qui s’étonne d’avoir des locataires sans le savoir, prend des informations, requiert les carabiniers, et encloue tous les huis. Voilà l’explication des planches en croix et des portes condamnées. »

À mesure que j’avance vers Saint-Jean de Latran, les îlots bâtis ne perdent pas leur aspect monumental, mais la population devient plus pauvre et plus dense, et des signes évidens révèlent la construction