Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/534

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa manière devant lui. Mais ils ne protesteront pas, et se serviront du pont neuf. Parmi les habitudes qu’ils ont conservées de leur antique lignée, figure celle d’assister aux révolutions, non pas impassibles, mais avec une résignation de connaisseurs.


J’ai rencontré chez lui le commandeur G… M. .. Il était dans son cabinet de travail. Mais il m’a fait entrer dans une petite pièce à côté, un salotto quelconque. — À quoi bon laisser entrevoir qu’on rédige un rapport, qu’on a des correspondances, des dossiers, des livres ouverts sous la main ? — Il est donc sorti, pour me recevoir du sanctuaire des affaires privées, et je lui ai dit :

— Mon cher commandeur, expliquez-moi le krach des maisons de Rome.

Il s’est approché d’une fenêtre étroite, ouvrant sur un paysage vaste, sur les prati di Castello, le Vatican et le Monte-Mario qui les dominent, le commencement de la plaine du Tibre fuyant à droite.

— À la distance où nous sommes, m’a-t-il dit, vous voyez que ce quartier a l’air presque entièrement bâti et habité. Il ne diffère pas beaucoup d’aspect des quartiers plus proches. Cependant il est à moitié ruiné et à moitié désert.

Il se retourna du côté opposé, et, d’un geste, indiquant le mur peint en blanc, avec des encadremens légers, dans un goût vaguement pompéien :

— De ce côté également, vers la gare, sur les collines du Viminale et du Pincio, vous constaterez des ruines semblables. Elles nous font très grande honte, à nous Romains, et nous ne voulons donner suite à aucun projet d’exposition universelle à Rome, avant qu’elles aient disparu. Est-ce qu’on prétend convoquer le monde entier pour lui donner le spectacle de ces ruines toutes neuves ?

« Nous avons voulu faire trop grand et trop vite. Ç’a été une première faute, faute de direction celle-là, qui en a déterminé d’autres, innombrables. La vieille Rome n’est pas maniable comme une ville moderne. Le sol miné, percé, plein de substructions de plusieurs âges, l’abondance des monumens encore debout, la fréquence des pentes, les habitudes d’un peuple ancien, qui ne se modifient pas en un jour, étaient autant d’obstacles avec lesquelles il aurait fallu compter. On aurait pu transformer Rome lentement. Mon Dieu, ce n’est pas là une idée sacrilège, ni nouvelle. Le premier empire l’avait eue. Vers la fin du régime pontifical, Mgr de Mérode avait commencé à l’appliquer. Il représentait l’élément progressiste, quand le cardinal Antonelli incarnait la tradition. On peut l’appeler l’initiateur des grands travaux romains. Nous lui devons la construction de la gare, celle de la caserne de Macao, et surtout la via Nazionale, qui eût été plus belle, s’il avait pu l’achever.