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même passagèrement, peut, s’il a servi entre 1861 et 1865, fut-ce pendant quelques mois, obtenir, avec quelque habileté, jusqu’à 300 fr. par mois, avec effet rétroactif depuis trente ans. C’est donc un véritable pillage.

Un nouvel examen de la loi Geary sur l’expulsion des Chinois, loi qui porte atteinte aux principes proclamés par les fondateurs de la grande république, enfin la réorganisation de l’administration civile dont M. Cleveland songe à modifier le recrutement, tel est le programme très chargé que le gouvernement et le congrès se proposent de remplir.

Quoiqu’il n’ait pas à résoudre des problèmes aussi compliqués, le parlement de Belgique n’en semble pas moins fort embarrassé jusqu’ici, pour mener à bien la révision constitutionnelle, où l’adoption du suffrage universel, avec vote plural, avait, en avril dernier, marqué une étape décisive. Depuis trois mois bientôt les représentans belges piétinent sur place, sans parvenir à enfanter un sénat. Tous les systèmes connus ont été successivement discutés et repoussés. Il faut, d’un côté, faire œuvre libérale : il ne saurait suffire d’abaisser à 1,500 francs le cens des éligibles, qui est actuellement de 2,100, et d’entr’ouvrir timidement la chambre haute à quelques capacitaires. D’autre part, il convient de ne pas créer deux assemblées absolument identiques, ce qui rendrait les conflits insolubles. Depuis soixante-deux ans les électeurs du sénat ont été les mêmes que les électeurs de la chambre ; sénateurs et députés continueront-ils à avoir le même corps électoral aujourd’hui où, par l’adoption de la proposition Nyssens, l’ancien effectif de 200,000 votans va se trouver augmenté d’un million ? Le chevalier Descamps conseillait de porter à trente-cinq ans l’âge des électeurs du sénat, ce qui eût éliminé 420,000 citoyens, et d’instituer le suffrage à deux degrés. Cette « amputation » du corps électoral a soulevé les protestations d’une partie notable de la presse.

Une autre combinaison consisterait à essayer, avec le suffrage universel pur et simple, la « représentation des intérêts » ou, pour mieux dire, des forces sociales catégorisées. Il nous semble à nous que c’est là un système de cabinet, une machine d’un autre âge, bien qu’elle soit préconisée par des radicaux et des esprits très alertes, comme M. Feron, le député de Bruxelles. Quand on serre de près une semblable formule, on voit combien l’organisation, le dosage de ces forces sociales, qu’il s’agit de mesurer et de parquer, devient difficile. Rien n’est donc fait encore, et il est probable que, pour en finir, on en viendra à l’une de ces transactions, acceptées par tout le monde sans satisfaire absolument personne, ce qui, du reste, est le caractère de toutes les transactions.

Vte  G. d’Avenel.