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adoucir ici les peines qu’il avait requises, — ces jeunes gens avaient parcouru Paris en troupe tumultueuse et agressive. Quelque opinion que l’on professe sur l’utilité pratique de l’association respectable dont M. Bérenger est l’initiateur, il est du moins une « licence des rues » que nul ne saurait admettre : celle en vertu de laquelle les successeurs des « escholiers, » qui rossaient si noblement le guet au temps jadis, se croiraient en droit de « faire des remuemens » dans le Paris de 1893, parce que le tribunal de la Seine froissait leurs convictions esthétiques, en frappant des jeunes personnes dont la supériorité plastique n’avait pu se révéler impunément au monde civilisé.

Les attroupemens ayant continué au quartier Latin, malgré la police chargée de les disperser, il s’ensuivit au café d’Harcourt, entre les agens et les manifestans, une bagarre où chacun se servit des armes qu’il trouvait sous sa main et dans laquelle un consommateur inoffensif reçut une blessure mortelle. Ce déplorable événement fit aussitôt dégénérer en une émeute véritable ce qui n’était au début qu’une rixe sans importance. Dès lors qu’il y avait un cadavre, les professionnels du désordre, les élémens révolutionnaires que toute grande ville renferme dans son sein, sentirent le parti qu’ils en pouvaient tirer ; les journaux radicaux profitèrent de l’incident pour débiter toutes espèces de folies sur la « police assassine ; » et les députés socialistes en profitèrent pour interpeller avec violence le gouvernement, qu’ils rendaient responsable de ce malheur.

Une certaine indécision parut régner, pendant vingt-quatre heures, dans l’administration supérieure de la préfecture, invectivée à outrance parce qu’elle ne savait pas donner des bourrades avec courtoisie, — ce qui proprement revient à demander de nettoyer les écuries d’Augias avec un plumeau. — Les soldats de l’émeute, fortifiés par un de ces badauds imbéciles, que tous les gouvernemens doivent protéger contre eux-mêmes, voyant la faiblesse de la résistance qui leur était opposée, se mirent à frapper des gardiens de la paix et à ébaucher des barricades. Aux environs de l’église Saint-Germain-des-Prés et de l’hôpital de la Charité, où avait été transporté le corps de la victime du café d’Harcourt, les événemens prirent une tournure réellement grave. Grilles d’arbres arrachées, réverbères et bancs brisés, omnibus renversés, pavés amoncelés, coups de revolver, kiosques incendiés, tous les signes ou symptômes d’une révolution commençante se renouvelèrent dans une échauffourée de plusieurs heures. Le soir, une foule hurlante faisait le siège de la préfecture de police ; de lourds projectiles, lancés à toute volée, cassaient les vitres et venaient tomber dans l’intérieur des appartemens, au risque de blesser les personnes qu’ils renfermaient et qui s’enfuyaient affolées ; de véritables béliers battaient furieusement la porte massive, et ce fut seulement lorsqu’elle allait