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voit dans l’histoire bien des vicissitudes pareilles, et il n’est pas improbable que, dans le cours des siècles à venir, les Anglais se laissent aller à sacrifier à leur tour leurs intérêts les plus positifs à la beauté des principes. »

Vous n’obtiendrez pas du noble écrivain d’autre réponse que ces mordantes boutades. Essayons de suppléer aux indications qu’il nous refuse. Je suis moins sceptique que M. d’Harcourt sur les illuminations instinctives du suffrage universel. Notre peuple a su deviner l’obscure et lointaine Russie, il a poussé de ce côté ses gouvernans, souvent malgré eux. Il pourra comprendre et partager la douleur de ceux qui savent ce que nous avons perdu en perdant l’Égypte ; pourvu qu’on l’instruise sur l’étendue de la perte, qu’on fasse appela sa finesse et à son bon sens. Au contraire de M. d’Harcourt, ce n’est pas de l’initiative improbable d’un cabinet que j’attends la reprise de nos traditions politiques ; je ne l’espère plus que d’un mouvement irrésistible de la conscience nationale, mieux éclairée.

Faisons d’abord justice d’une litanie agaçante ; celle des voyageurs vertueux et sensibles qui croient nous consoler, lorsqu’ils répètent que les Français sont seuls aimés en Égypte, qu’on regrette leur bonté charmante en la comparant au dur formalisme des maîtres actuels, que notre influence morale n’a diminué en rien… On a vu l’opinion de M. d’Harcourt sur les Égyptiens. Même en adoucissant beaucoup ses jugemens, se figure-t-on le fellah, qui ne s’est jamais révolté contre personne, bravant les baïonnettes britanniques pour rappeler le Français bien-aimé ? Croit-on que les événemens changeront de face pour récompenser les bons points de conduite que nous donnent quelques journalistes d’Alexandrie ? Ces illusions naïves ressemblent trop à celles d’une femme répudiée qui se flatterait d’être reprise par son époux, remarié ailleurs, parce qu’il lui témoigne certains égards de politesse et quelques regrets des bons momens passés jadis auprès d’elle.

L’ergotage perpétuel avec les Anglais sur la cessation de l’occupation provisoire n’est pas moins irritant, à la longue. On le comprenait pendant, les premiers temps ; après dix ans écoulés, et devant un dessein politique aussi manifeste, il frise le ridicule. — Quand partez-vous ? ferez-vous bientôt vos malles ? — Les négociations avec le cabinet.de Londres sur cette question ne sont pas seulement inutiles ; elles finiraient par entamer notre dignité ; elles risquent de nous arracher quelque jour une reconnaissance tacite de la position que nous contestons, une de ces sanctions diplomatiques qui se créent lentement par le seul fait de trop causer, d’un acte litigieux, ce qui équivaut à en reconnaître l’existence formelle et la valeur pratique.