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gens appellent provisoire ? C’est la question, brûlante pour nous, où nous attendions M. d’Harcourt ; plus d’un lecteur ira droit au chapitre qui traite de l’occupation anglaise, sans s’attarder aux considérations historiques dont je viens de rendre compte. L’écrivain s’exprime sur ce sujet avec un grand désintéressement, son langage ne trahit ni chauvinisme ni jalousie ; il se place d’abord au point de vue des intérêts de l’Égypte et du soulagement que peut lui apporter le chirurgien rival auquel nous avons cédé bénévolement notre clientèle. — « Je ne mets pas en doute que le peuple égyptien, le fellah, ne soit, sous la domination anglaise, plus heureux quant aux conditions matérielles de l’existence qu’il ne l’était sous les Turcs. » Une administration économe et plus humaine, la disparition progressive de la bastonnade et de l’esclavage, c’est bien quelque chose. Mais comme les Anglais ne sont pas gens à travailler au bonheur du fellah sans réclamer leur juste salaire, comme la richesse productive du pays tient moins encore à la fertilité du sol qu’au peu de besoins de la race, qui a moissonné jusqu’à présent pour ses maîtres et pour leurs banquiers, en ne prélevant que le strict nécessaire sur les fruits qu’elle faisait pousser, M. d’Harcourt ne pense pas que l’aisance de la population s’accroisse sensiblement ; elle continuera de peiner pour payer un tribut et les arriérés des folies passées. Quant au relèvement moral et social de ce peuple, le sentiment de notre observateur était facile à prévoir d’après les opinions pessimistes qu’il s’est faites et que j’ai rapportées. À son avis, et je m’y range volontiers, la domination anglaise ne modifiera en rien des élémens trop réfractaires ; le fellah demeurera ce qu’il est depuis les Pharaons. Le climat interdit aux nouveaux maîtres, comme à tous les étrangers de toutes les époques, l’établissement individuel, permanent, héréditaire, qui pourrait seul exercer une influence sociale. Le fonctionnaire et l’officier britanniques passeront en Égypte comme ils font aux Indes, ils exploiteront la vallée du Nil comme celle du Gange, sans pénétrer dans les âmes mystérieuses de leurs sujets. « L’abaissement de la race égyptienne paraît tenir à des causes trop profondes pour qu’un changement dans les procédés administratifs puisse apporter un changement notable dans sa situation… L’Égypte, si tant est qu’on entende par ce mot un peu vague la collectivité de ses habitans, restera donc à peu de choses près ce qu’elle est depuis longtemps. »

Si l’on restreint au contraire le nom d’Égypte à la façade officielle dont l’Europe s’occupe, tout y est ou sera bientôt renouvelé. Le témoin français rend hommage à l’habileté tenace des Anglais dans