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toutefois qu’il n’impute à la religion de Mahomet plusieurs effets fâcheux dont elle est innocente. Par exemple, quand il insiste sur la confusion d’une société où les noms de famille n’existent point encore, où l’individu n’est désigné que par un prénom, suivi tout au plus d’un rappel du nom paternel. L’observation est juste ; mais elle s’applique également à tout l’Orient chrétien, à la majorité des classes intérieures en Russie et en Grèce. Les peuples enfans, encore inorganiques, ne sentent pas le besoin des distinctions nettes et durables que nos organisations compliquées nécessitent. — Mais je n’aurai garde de me perdre dans une discussion sur les mérites très relatifs de l’islamisme. Les lecteurs de l’Égypte et les Égyptiens corrigeront d’eux-mêmes ce qu’il y a d’excessif dans le réquisitoire ; ils en approuveront sans réserve les parties solides autant qu’ingénieuses.

D’abord le chapitre des femmes et des harems. L’écrivain dépeint avec verve ces animaux de paresse et déplaisir ; il s’étonne à juste titre que l’on puisse trouver quelque chose de bon chez les enfans élevés par ces créatures ignorantes. Quand elles ne sont plus tout à fait ignorantes, c’est encore pis. Notre voyageur a entrevu le singulier « état d’âme » de quelques princesses de harem, façonnées par des institutrices anglaises ou françaises. Si je disais que j’en ai vu de curieux exemples, on ne me croirait pas ; et si l’on m’en croyait, ce serait fort pénible. Mais les récits des dames européennes qui fréquentent ces victimes de l’instruction nous renseignent suffisamment. Telle femme de pacha, à Constantinople ou au Caire, passe ses journées à dévorer les romans de Dumas père et de George Sand ; elle n’imagine pas la vie normale de ses sœurs d’Occident autrement faite que celle d’Indiana ou de Lélia ; elle raisonne inversement comme un bon bourgeois qui croirait avoir lu une description exacte de la Perse en achevant les Mille et une Nuits. Qu’on juge après cela du désespoir de la malheureuse, enfermée derrière les barreaux de sa cage, et rêvant du pays où toutes les femmes mènent une existence si remplie d’agrément ! Il y a d’ailleurs au Caire, si j’en crois ce livre, des symptômes d’émancipation féminine ; au dire de l’auteur, « les Européens assez qualifiés pour être admis, dans les circonstances solennelles, à présenter leurs devoirs à la femme du khédive, vont au palais d’Abdin remettre leur carte ; le chef eunuque se présente, la reçoit, la porte immédiatement dans l’intérieur des appartemens, et revient au bout de peu d’instans vous dire que Son Altesse a été fort sensible… » Voilà de grandes nouveautés pour nous autres vieux Orientaux !

Lorsqu’il passe à une autre plaie sociale, l’esclavage, M. d’Har-