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gnons du Prophète. Il faudrait intercaler dans une de ces listes le nom de Bonaparte, qui lut le Coran à El-Azar, le 20 août 1798. Après l’achèvement des études, c’est-à-dire quand l’exemplaire manuscrit de l’élève est estampillé jusqu’à la fin, le jeune homme quitte l’université avec ce livre qui lui tient lieu de diplôme ; il va chercher une place de cadi ou de mollah, de juge ou de prêtre, parfois jusqu’aux extrémités de la terre des croyans. Où qu’il aille, l’arrivant d’El-Azar sera reçu avec vénération, et la meilleure prébende écherra à ce savant homme.

Vous représentez-vous autrement l’existence et le dressage d’un clerc de la rue du Fouarre ? Pensez-vous que l’étendue du savoir, chez ce dernier, et l’ensemble d’idées qu’il attachait à ce mot, la science, différassent sensiblement des conceptions qui se forment aujourd’hui dans le cerveau d’un étudiant d’El-Azar ? Je parle, bien entendu, de notre haut moyen âge et de son premier éveil scientifique. Les docteurs musulmans nous ont devancés sur le chemin des clartés rationnelles ; ils ont fait halte à un certain point ; nous les y avons dépassés, nous avançons constamment depuis lors. L’Orient en est encore à l’aurore du moyen âge ; lorsque M. d’Harcourt se montre sévère pour cette stérilité intellectuelle, il condamne du même coup un état mental et social par lequel nous avons passé, et qui ne fut pas sans grandeur. L’excellent observateur développe avec finesse la différence qui existe entre notre esprit scientifique, fait d’une inquiétude perpétuelle de la vérité recherchée pour elle-même, et celui des Égyptiens, qui estiment seulement dans nos connaissances l’utilité immédiate qu’on en peut retirer. Nos arts et nos découvertes représentent pour eux de meilleurs canons, de meilleurs vaisseaux, des moyens de locomotion perfectionnés, des instrumens de force et de jouissance ; jamais une pure satisfaction de l’intelligence. Les blâmer de sentir ainsi, cela revient à plaider la cause de l’esprit moderne contre l’esprit du moyen âge. Notre inquiétude de la vérité est un grand stimulant, nous avons droit d’en prendre de l’orgueil ; mais on aurait tort de trop mépriser le sommeil paisible où nous fûmes longtemps, où est encore l’Orient, avec son indifférence aux spéculations de la raison, sa confiance absolue dans une parole qu’il tient pour divine. Si cette autre disposition de l’âme n’aide en rien ce que nous appelons le progrès, elle comporte certaines vertus, certaines conditions stabilité qui ont bien leur prix pour une société.

M. d’Harcourt estime que l’islamisme a encore renforcé les défauts naturels de la race égyptienne ; il motive1 vigoureusement son réquisitoire contre ce culte. S’il ne veut que prouver l’immense supériorité sociale, du christianisme, nous sommes d’accord ; je crains