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misérable s’il en fut jamais, et, d’Unalashka et d’Atka, il enleva une cinquantaine d’insulaires. Le caractère de ces émigrans étant fort doux, Pribylov les installa dans l’est de l’île, dans un lieu appelé encore aujourd’hui Starry Ateel, ou vieille factorerie. Pribylov fit de même pour l’île Saint Paul ; mais de rudes et hardis marins s’y étaient installés comme lui ; il y eut des revendications inévitables, et, à leur suite, des rixes d’autant plus violentes que le rhum y était très en faveur. L’extermination des phoques lut conduite à Saint-Paul avec une énergie tellement sauvage, que leur complète disparition eût été inévitable, si le territoire d’Alaska n’eût passé sous la domination absolue d’une compagnie russe américaine ; le groupe des îles Pribylov fut compris dans cette cession, et le premier soin des nouveaux occupans fut de chasser les aventuriers qui s’y étaient installés. Un seul homme, Baronov, devait y être obéi, et sous sa volonté de fer, l’existence des Aléoutiens devint un véritable martyre. — Traités en esclaves, sans appel contre les coups dont on les accablait, ces malheureux vécurent à l’état de brutes jusqu’au jour où, par un acte du congrès de Washington, les îles à phoques furent louées pour une durée de vingt ans à une société américaine de San-Francisco, the Alaska commercial company. Elle dut prendre l’engagement de traiter les indigènes avec douceur et de fournir largement à leurs besoins. Il devait y avoir à leur usage des dépôts de saumon fumé, de sucre, de crackers ou biscuits, de thé, de charbon, de l’huile à brûler, en résumé, tout ce qui est nécessaire dans un campement hivernal sans communication pendant neuf mois avec le reste du monde. On leur accorda une liberté qui leur avait été toujours refusée, celle de passer d’une île à l’autre, de travailler ou de ne rien faire, la compagnie, bien entendu, se réservant le droit de remplacer les absens par qui bon lui semblerait. La compagnie, comprenant que mieux elle traiterait ses ouvriers, et plus elle en tirerait de profit, leur fit construire des habitations qui les garantirent du froid et surtout de l’humidité très grande dans ces régions à brouillards. Le résultat de ces sages mesures ne se fit pas longtemps attendre ; les indigènes, au début, n’arrivaient jamais à abattre les cent mille phoques que les concessionnaires avaient le droit de se procurer annuellement ; peu à peu, ce chiffre formidable fut atteint dans l’espace de cent à cent vingt jours, et il n’a pas été moindre jusqu’en 1890.

La population primitive s’est si bien confondue avec un certain nombre de Russes, d’Américains et de Kamtchales, qu’on y trouve tous les types, depuis celui du nègre jusqu’au Caucasien. En général, les indigènes se distinguent par leurs yeux grandement