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de l’hiver, qu’il trouvera le printemps et qu’il sera convié à de nouvelles amours. Ainsi le veulent les règles de la reproduction et de l’inaltérable conformation de l’espèce.

Les phoques mâles, — les bulls, — ainsi que les Américains et les Anglais les appellent, ceux qui sont dans la force de l’âge, en plein pouvoir de leur vigueur, font les premiers leur apparition sur leurs îles préférées, dès la dernière semaine d’avril ou au commencement de mai. Jamais plus tôt, jamais plus tard. Qui leur apprend une telle régularité ? Comment dans les profondeurs de l’Océan reconnaissent-ils leur voie ? Pourquoi abordent-ils toujours sur les mêmes terres ou plutôt sur quelques roches stériles et comme perdues au milieu d’étendues immenses ? Les oiseaux émigrans ont une vue admirable qui les aide à s’orienter, mais les phoques ?

Chaque bull choisit, dans l’île où il aborde, l’aire rocheuse qui lui convient ; il s’y installe en maître dans l’attente de l’arrivée des femelles, à moins qu’un bull plus robuste que lui ne l’en déloge et ne l’oblige à se fixer ailleurs. Il y a bataille, naturellement ; mais ce n’est que le prélude des combats qui vont se livrer, plus terribles encore, quand les femelles feront leur apparition. Sans boire, sans manger, de mai à novembre, c’est à-dire pendant sept mois, les bulls, jaloux à l’excès, veilleront sur leurs harems, sans autre préoccupation que celle d’en interdire les approches aux phoques célibataires qui s’évertuent d’y pénétrer. Leur rage jalouse évanouie, les phoques à fourrures se nourrissent de poissons, de calmars et de crustacés. La voracité d’un phoque est si grande, que l’on s’est très sérieusement demandé si la valeur du poisson qu’il détruit ne dépasse pas la valeur de sa peau.

Au commencement de juin, les femelles arrivent, mais lentement, par de belles journées, en groupes de cent à la fois. Les bulls se les disputent avec fureur jusqu’à ce qu’ils aient pu faire un choix de vingt, trente et même quarante compagnes. Ils procèdent à l’installation de leur sérail, avec ce calme, cette dignité, qui, en ces matières, distingue les pachas de Stamboul. En juillet, une vie intense anime les lies, car les femelles, dès leur débarquement, ont mis bas un petit être dont la gestation n’a pas duré moins de onze à douze mois. C’est à terre qu’elles les allaitent, jamais à la mer. Rien de plus divertissant que les ébats de ces nouveau-nés, qui, par milliers, jouent comme de jeunes caniches, dont ils ont la gentillesse et paraissent avoir l’intelligence. Chaque mère veille attentivement sur sa progéniture, ne la confond jamais avec la multitude de nourrissons qui l’entoure, et ne permet à aucune autre mère de l’allaiter. D’ailleurs, elle ne nourrit que son petit, et