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l’Océan-Pacifique Nord, et il est temps d’assurer à ces animaux une sécurité qui leur permette une reproduction régulière.

« J’ai suivi avec beaucoup d’attention les enquêtes qui avaient été faites par le gouvernement des États-Unis à ce sujet. Les rapports des commissions envoyées aux îles Pribylov ont fait connaître aux naturalistes un très grand nombre de faits d’un haut intérêt scientifique et ont démontré que l’on pouvait, sans inconvénient, pratiquer des coupes réglées dans ces troupeaux de phoques où les mâles sont en excès. On applique là, de la manière la plus heureuse, ce que l’on pourrait appeler l’impôt sur les célibataires : il aurait assuré la conservation indéfinie de l’espèce, si les phoques émigrans, à leur retour dans les stations de reproduction, n’avaient été assaillis et pourchassés de toute façon.

« Il y a donc lieu de tirer parti des renseignemens très complets que l’on possède sur les conditions d’existence des phoques à fourrures, afin d’en empêcher l’anéantissement, et une commission internationale peut seule indiquer les règles dont les pêcheurs ne devraient pas se départir. »

M. le professeur T. Salvadori, professeur au musée zoologique de Turin, croit, non sans raison, que le massacre annuel de près de cent mille jeunes phoques aux îles Pribylov doit influer sur la décroissance des troupeaux, spécialement en empêchant la sélection naturelle, laquelle aurait lieu, si les jeunes mâles n’étaient pas tués en nombre aussi considérable. C’est pourquoi il est d’avis qu’avec l’interdiction de la chasse en mer, il y aurait lieu d’empêcher, au moins pendant quelques années, la mort d’un aussi grand nombre de mâles.

M. le docteur Léopold de Shrenck, membre de l’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg, est aussi d’avis que si la chasse pélagique continue dans les conditions où elle se pratique aujourd’hui, la disparition du phoque à fourrure s’ensuivra certainement.

La communication de M. le docteur Henry H. Giglioli, directeur du musée zoologique de Florence, mérite d’être citée. « Il y a quelques années, écrit le savant naturaliste, au cours de mon voyage autour du monde, à bord du Magenta, j’ai eu la bonne fortune de visiter une importante station d’une des espèces de phoques à oreilles, fréquentant le Pacifique méridional, la fameuse Otaria jubata, ou lion marin. La station en question se trouve située immédiatement en arrière du cap Stokes, dans le golfe de Peñas, sur la côte méridionale du Chili, et est précisément celle que visita Darwin, au cours de son mémorable voyage à bord du Beagle. Je n’oublierai jamais le spectacle dont je fus alors témoin ; des centaines de ces otaries s’offraient à mes regards étonnés, couchés