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La découverte des immenses troupeaux de phoques à Fourrures sur l’île où Behring s’était jeté avec son navire impressionna vivement les Russes ; ils y virent une source inépuisable de richesse, et, tout en se livrant à l’extermination des animaux que le hasard venait de leur faire rencontrer, ils sillonnèrent la mer de leurs vaisseaux dans l’espoir de trouver de nouveaux repaires. C’est à un baleinier, du nom de Pribylov, un marin audacieux et de grande énergie, que cet avantage fat réservé. Dans les années 1786 et 1787, il aborda à Saint-Paul et à Saint-George, deux îles formant le groupe qui porte aujourd’hui le nom de celui qui les découvrit, groupe dont la richesse en amphibies égalait celle des îles de Behring et de Cooper de l’archipel du Commandant.

Ces îles, formées en partie de roches basaltiques, d’amas de sable que les vents accumulent sur leurs bords, de terres battues par les ébats des phoques, étaient inhabitées. Une herbe drue et d’un vert jaunâtre, la glyceria angastata des botanistes, s’y montre maintenant sur divers points autrefois arides. C’est une végétation récente. Elle prouve que l’extermination des amphibies a été poussée à l’extrême, et c’est, en faveur d’une prompte réglementation de la tuerie de ces animaux, l’argument le plus probant qui puisse être donné. Il en est encore un autre : leur destruction a été poussée avec une telle imprévoyance sur les îles Behring et Cooper qu’ils ont disparu presque complètement de cet archipel depuis un siècle et demi[1]. Le même désastre eût infailliblement frappé les îles Pribylov, si, lorsqu’elles furent découvertes, les chasseurs de phoques eussent connu la préparation rapide des fourrures telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Le temps leur manqua pour accomplir leur œuvre de destruction totale. « De 50,000 à 60,000 phoques à Saint-Paul et de 40,000 à 50,000 à Saint-George furent très régulièrement tués pendant plusieurs années, dit l’évêque Veniaminov. Nulle demande n’exigeait une telle boucherie. Les peaux étaient emmagasinées sans que l’on songeât à connaître leur nombre. En 1803, 800,000 fourrures se trouvèrent entassées dans des dépôts sans qu’il fût possible de les vendre avec quelque avantage. 700,000, envahies par la moisissure, furent jetées à la mer[2] ! » Une peau bien préparée vaut aujourd’hui à Londres 1,000 ou 1,200 francs. C’est donc bien près d’un milliard de francs que les exterminateurs de phoques perdirent cette année-là.

En 1806, les Russes, quoique bien tardivement, prévoyant que

  1. Lettre du docteur A.-Th. von Middendorf, de Dorpat, en Livonie, à M. Wurts, chargé d’affaires.
  2. Évêque Veniaminov, Zapieskie, ch. XII, I, 1848.