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heures du matin, pour visiter les lignes. Il les suivit depuis la mer Noire jusqu’à la partie de la mer d’Azow, appelée mer pourrie. Il y reconnut le lieu où le maréchal de Lascy y avait fait passer sa cavalerie lorsqu’il était entré en Crimée en 1737. Il revint très content de son voyage, et nous entretint avec sa facilité ordinaire jusqu’au moment où l’impératrice arriva. On lui fit voir toutes les espèces de sel dont une sent la framboise. De là nous remontâmes en voiture pour aller à la dînée ou l’on avait établi des tentes, charmantes, après quoi, nous repartîmes tout de suite pour nous rendre à la couchée où il y avait des tentes à la tartare, mais très jolies. L’impératrice avait une maison en tentes dont elle a été enchantée. Nous avions tous chacun la nôtre ; cependant j’ai logé dans la même avec Ligne avec qui j’aime à causer. Nous y soupâmes avec Ségur. Mon cuisinier nous fit quelques petits plats. Le prince Potemkin, ne nous ayant pas vus à souper, vint nous y trouver. Nous allâmes encore causer un peu chez lui et, de là nous allâmes nous coucher. D’où nous sommes, l’on voit déjà les montagnes et, demain, nous allons entrer dans le beau pays. »


« Ce 30, Batchi-Séraï.

« Je sortis de ma tente à six heures et demie. L’empereur, qui se promenait depuis quatre, était avec le prince Potemkin. Il passa des chameaux attelés à des charrettes qui portaient des Tartares. Je me promenai une heure avec l’empereur, à voir et à parler aux Tartares qui étaient venus pour voir l’impératrice. À huit heures et demie, nous partîmes, c’est-à-dire le prince Potemkin et Branicki. Il y avait à la dînée des tentes situées dans un lieu charmant ; nous y déjeunâmes. Au moment où nous allions partir, l’impératrice arriva. Nous restâmes un quart d’heure avec elle, et nous repartîmes par un chemin qui, de pas en pas, devenait plus agréable. Nous trouvâmes une troupe de Tartares destinés à escorter l’impératrice et à la garder. Je n’ai rien vu de mieux monté. Elle était suivie d’un régiment tartare fort beau aussi. Et voilà ces mêmes Tartares qui se révoltaient contre Zimguerrai, parce qu’il voulait les enrégimenter et les discipliner ! Les voilà au point que l’on leur confie la garde de l’impératrice et qu’elle est au milieu de mille Tartares prêts à la défendre !

« Le palais m’a paru bien plus agréable que lorsque j’y gelais de froid. Les fleurs, la verdure, tout le rend bien plus extraordinaire et plus charmant. L’impératrice arriva deux heures après nous. Elle était enchantée de tout ce qu’elle avait vu, et elle le fut aussi