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« L’on s’était mis en marche à quatre heures du matin, tandis que nous dormions, et, comme il y avait quelques bâtimens en arrière, l’on mouilla à neuf heures, étant à vingt-trois verstes de Kief. J’entrai chez le prince à dix heures. À peine y étais-je qu’il y eut signal de chez l’impératrice qui nous demandait. Le prince poussa sa toilette pendant laquelle il parla de la Pologne et du roi dans les termes que nous pouvons désirer. Stackelberg y était. Nous arrivâmes chez l’impératrice qui était tort gaie. À midi, nous montâmes en canot pour aller dîner. Après, l’impératrice rentra chez elle, et j’allai avec Ligne et Ségur à leur galère où Ligne nous lut sa conversation avec le feu roi de Prusse. Nous lûmes aussi « le dialogue de Jupiter et du cynique » de Lucien. L’on nous fit, à six heures, le signal d’aller chez l’impératrice, mais les cuisines étant restées en arrière, elle avait envoyé tous les bateaux pour les remorquer, et nous restâmes aux arrêts jusqu’à huit heures que nous pûmes arriver chez l’impératrice qui avait un peu d’humeur de ce que, les cuisines étant restées en arrière, l’on se passerait de souper. À neuf heures, l’on se retira. Tout le monde se rendit chez le prince Potemkin, excepté Branicki, Cobentzel et moi à qui Momonof proposa de rester pour faire un whist et le mauvais souper qu’il se procurerait. À peine étions-nous à jouer dans le petit salon de l’impératrice qu’elle entra déshabillée, décoiffée, et prête à mettre son bonnet de nuit. Elle nous demanda si elle ne nous gênerait pas. Elle s’assit près de nous, fut très gaie et d’une amabilité charmante. Elle nous fit des excuses sur son déshabillé, qui était cependant des plus galans ; il était de taffetas abricot avec des rubans bleus. De n’avoir rien sur la tête lui donnait l’air plus jeune ; elle était très fraîche. Je lui dis que je n’avais vu aucun habit lui aller si bien. L’on vint avertir que la chaloupe portait le dîner de M. Momonof, elle en fut enchantée ; elle resta avec nous jusqu’à dix heures et demie que nous nous mîmes à table où nous eûmes un très bon souper. Je suis rentré chez moi à une heure et demie, il en est neuf. Je vais me lever, car l’on commence à se remuer. Je veux voir le prince seul, car nous arrivons, ce soir, à Kanief, et j’ai mandé au roi que j’arriverais avant les autres pour pouvoir lui dire ce que je ne lui aurais pas écrit, quoiqu’il ait eu bien des lettres de moi qui, toutes, étaient telles qu’il pouvait les désirer, car je n’ai eu que des résultats heureux à lui annoncer. Il fera tout ce qu’il voudra. Adieu, ma princesse ; à demain.


« Il est cinq heures du matin ; je m’habille pour aller à Kanief