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moins complaisante, ou de mémoires rédigés après coup, mais bien d’un reflet immédiat d’impressions réellement reçues. Les incorrections, en ce cas, sont presque un mérite de plus, puisqu’on doit y voir une garantie de la spontanéité, de l’abandon, et par conséquent de l’entière sincérité de celui qui, en se relisant à tête reposée, eût sans doute introduit bien d’autres modifications dans sa rédaction primitive.

Le prince Charles de Nassau-Siegen, à qui nous allons emprunter cette nouvelle relation, n’est guère connu du lecteur français que par quelques aventures de sa jeunesse ou par son rôle actif, — singulièrement dénaturé par plusieurs, — dans les affaires de l’émigration.

Assez justement surnommé par ses contemporains : un paladin au XVIIIe siècle, compagnon à vingt ans de Bougainville dans son fameux voyage autour du monde, un des héros du siège de Gibraltar, prince allemand, né sujet français, officier-général en France et en Espagne en attendant qu’il devienne amiral russe, cinq fois victorieux à la tête des escadres de la grande Catherine, la plupart des écrivains qui ont eu à parler de lui, en passant, en ont fait, — à vrai dire, — un portrait de fantaisie où les singularités incontestables de son caractère et celles de sa vie sont surtout mises en relief. Vu de plus près, jugé du moins sur sa correspondance jusqu’à ce jour inédite et où il se livre absolument, puisque, pendant près de cinq années des plus importantes de sa carrière, il a écrit presque chaque jour, on trouvera peut-être qu’il mérite mieux. La seule partie de cette correspondance qui nous ait été conservée ne commence, malheureusement, que lorsqu’il a déjà trente-neuf ans et à l’époque de sa vie où, attiré en Pologne par suite de son mariage et, depuis, en Russie, il ne fit plus en France que de rares et courts séjours.

Introduit par l’amitié subite — on serait tenté de dire par l’engouement — qu’il inspira au prince Potemkin dans la faveur et dans le cercle intime de l’impératrice, la Russie devint pour lui une nouvelle patrie, du moment surtout où il eût été assez heureux pour acquitter par des services éclatans sa dette de reconnaissance. — Mais son dévoûment exalté pour Catherine ne lui fit jamais oublier ni ses sympathies pour la Pologne où il s’était constitué bénévolement le champion de l’autorité méconnue de Stanislas-Auguste, longtemps son ami, ni son attachement pour la France.

Convaincre la Pologne qu’elle a tout à redouter des convoitises de la Prusse, et qu’un rapprochement sincère, alors possible, avec la Russie lui permettrait seul de mener à bien la grande œuvre de ses réformes intérieures ; détacher la France de ses liens séculaires