Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femme et n’a pas perdu ses bonnes habitudes, à ce qu’on prétend : rase la gendarmerie et les fonctionnaires.

À côté de ce peluquero, une imprimerie et une photographie dans le même local. La littérature et l’art y sont personnifiés par un seul libéré ; cet individu, dont l’activité ne se contente pas d’un seul objectif, rédige l’Indépendant de Bourail, journal hebdomadaire, humoristique et satirique.

Voici une petite épicerie tenue par un ancien prêtre ; son commerce n’a pas l’air très florissant.

« Librairie, cabinet de lecture. » Cette boutique a pour titulaire un ex-notaire à la face rasée, au maintien très digne. Il est veut, par cette bonne raison qu’il a tué sa femme. Signe particulier : joue du piano et excelle dans la chansonnette comique.

Son voisin est un horloger bijoutier, qui fit jadis des opérations d’un goût douteux sur les diamans. Je lui ai donné ma montre à réparer, et contrairement à l’usage il ne me l’a point abîmée, ce dont je lui conserve de la gratitude.

Citons encore un restaurant : « Au rendez-vous des amis ; » le patron est un Chinois, autrefois matelot au commerce, condamné pour rébellion ; il s’est marié à Bourail et parle avec l’accent de Marseille. On m’a assuré que ses pâtés sont tout à fait remarquables.

Marchands d’étoffes, tailleurs, boulangers, bouchers, tous les genres de commerce sont représentés d’une façon intéressante dans ce petit bourg.

Chaque dimanche, jour de marché, les concessionnaires s’y rendent qui à cheval, qui en voiture, et s’approvisionnent pour la semaine ; ils apportent, de leur côté, des légumes, des fruits, du laitage. Ample matière à réflexions que la vue de cet assemblage de gens dont chacun personnifie un drame et parfois un roman.

Tout à l’entrée de Bourail, est un pont fort pittoresque jeté sur la Néra ; il conduit à l’usine à sucre Bacouya dont on aperçoit de très loin la haute cheminée rouge. Cette usine appartient à l’administration pénitentiaire. On y fabrique du rhum excellent et de la cassonade. Il va sans dire que l’exploitation n’en est pas rémunératrice, mais que voulez-vous ? Après avoir encouragé les concessionnaires à planter de la canne, parce qu’on avait acquis une usine, il faut bien garder l’usine pour que les concessionnaires puissent écouler leurs cannes. L’État s’entend merveilleusement à ce genre de spéculation.

Autres monumens : l’église, d’un assez bon style roman ; l’hôpital, très mal installé, qui reçoit gratuitement les concessionnaires, deux médecins de la marine le dirigent. Ces officiers du