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titre de Boulouparisiens. (Adorons une fois de plus les beautés de l’administration.)

À partir de Boulouparis, — n’oublions pas l’s de M. le gouverneur, — on ne trouve plus qu’un sentier muletier assez facile, quand les nombreux torrens qui le coupent n’ont pas grossi, — on traverse. La Foa, petite colonie libre (maire, adjoint, conseiller-général, nuées de moustiques), collée à un centre important de concessionnaires. Ceux-ci ont formé plusieurs villages : Fonwary, Focola, Farino, Thia : ils cultivent le calé avec beaucoup de succès et font de l’élevage. Mais nous n’avons pas le temps de nous arrêter.

Encore une quarantaine de kilomètres et nous voici sur une haute montagne. À nos pieds s’étend une vaste plaine, dont la vue surprend et réjouit : des champs bien cultivés, des prairies, des bouquets d’arbres, le tout égayé par les méandres d’une rivière assez large : çà et là, éparpillées dans la campagne, des maisons dont on aperçoit les fumées. Tout au fond, adossé à un amphithéâtre de collines, un village groupé autour du clocher de son église : c’est Bourail, le centre le plus important de l’île après Nouméa. À mesure que nous descendons, le sentier s’élargit et se transforme bientôt en une jolie route carrossable, fort bien entretenue, ce qui nous indique que nous avons franchi la limite qui sépare le domaine colonial du domaine de l’État. Nous sommes parvenus sur un territoire dont les habitans présentent cette particularité, assurément peu banale, de sortir tous du bagne.

Bourail date de 1869 ; ce n’était alors qu’un simple pénitencier isolé au milieu de l’immense domaine que l’État possède dans cette partie de la colonie. On y envoya les premiers concessionnaires. Terres assez fertiles, arrosées par la Néra dont l’estuaire, distant de douze kilomètres, forme un port excellent. Aucun endroit ne pouvait être mieux choisi pour tenter l’expérience de la colonisation pénale. Aujourd’hui, 700 familles environ, composant une population de 1,650 personnes, sont installées, — concessionnaires « urbains » et concessionnaires « ruraux, » — dans le bourg et dans la plaine.

Une heure de chemin nous sépare du village proprement dit : nous croisons des voitures à bœufs, des hommes en blouse revenant du travail, leurs outils sur l’épaule, des amazones rustiques qui chevauchent dans une posture toute masculine, le fouet de stock-man à la main[1].

  1. On voit souvent des femmes prendre part au rassemblement de troupeau et « courir le bétail » avec une hardiesse extraordinaire.