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exprimée dans la belle légende évangélique du « bon et du mauvais larron ? »

Le mérite de nos contemporains, — et il est considérable, — consiste à avoir découvert cette idée sous la poussière du temps, à se l’être appropriée, à l’avoir complétée. Grâce à eux, le bon larron a cessé de figurer parmi les symboles pour devenir un personnage en chair et en os, très vivant, souvent fort intéressant.

C’est de lui que je vais prendre la liberté de vous entretenir, heureux de n’avoir plus désormais à écrire les mots prison, cellule, cachot et autres vocables d’aspect sinistre que je m’excuse d’avoir, dans la première partie de ce travail, si souvent fait passer sous vos yeux.

Notre forçat a su éviter ces écueils nombreux qui, pour beaucoup de ses compagnons, sont des étapes vers l’abîme final ; jamais il n’a franchi le seuil du « tribunal maritime spécial, » ni celui du « camp disciplinaire. »

Depuis longtemps déjà, il est de première classe, et sa conduite ne s’est pas démentie un instant. « Bon sujet, bon travailleur, » disent de lui les surveillans dans leurs notes.

Voilà dix ou quinze ans qu’il expie.

Supposons-le condamné à perpétuité ; on va le faire bénéficier d’une commutation de peine en vingt années de travaux forcés avec, pour corollaire, l’obligation de résider dans l’île jusqu’à la fin de ses jours. Si la récompense n’allait pas plus loin, il faut avouer qu’elle serait bien disproportionnée avec les efforts accomplis pour la mériter, car elle présenterait au criminel repentant cette seule perspective : sortir du bagne à soixante-dix ans pour s’en aller mourir de misère dans quelque fossé.

Un tel avenir ne serait évidemment pas de nature à enfanter le courage et la persévérance.

Aussi, les auteurs de la loi fondamentale du 30 mai 1854 ont-ils posé un principe fécond en décidant que des concessions de terrains pourraient être accordées aux transportés.

C’était résoudre à la fois deux questions de grande importance : l’utilisation des bonnes volontés au profit de la rénovation individuelle, l’utilisation de cette régénération au profit de l’intérêt général, c’est-à-dire du peuplement.

Malheureusement, la politique, — qu’allait-elle faire dans les galères ? — est venue dire son mot, et ce mot, suivant son habitude, a été fâcheux. — J’expliquerai comment, tout à l’heure. Ses exigences ont été cause que le principe n’a pas donné tous les fruits qu’on était en droit d’en recueillir, sans cependant avoir été immédiatement atteint dans sa fécondité.