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exclure l’auteur des Fiancés d’une anthologie destinée aux écoles, — a en grande partie échappé à l’influence de Manzoni. Mais ce n’est point le cas de M. Fogazzaro qui, au contraire, se rattache à la filiation de l’illustre écrivain par la simplicité et la clarté de sa forme aussi bien que par ses tendances très catholiques. Les paroles citées par M. Bonghi l’ont donc vivement frappé ; et, en toute loyauté, il en a reconnu et tiré les conséquences. N’impliqueraient-elles pas, en effet, la condamnation de presque toute littérature, en tout cas des livres préférés, des pages les plus souvent relues, les plus universellement admirées ? Plus qu’aucune autre, la littérature contemporaine tomberait sous leur sentence, quelle que soit son étiquette, quel que soit son programme. M. Fogazzaro l’a reconnu et il en a été effrayé : « Beaucoup d’écrivains, dit-il en commentant l’arrêt du maître, ont représenté la passion sensuelle sans autre intention que de reproduire la vérité, ou de plaire, ou de retirer de leurs livres gloire et profit, sans autre frein que les lois pénales. Leur succès a été douloureux pour la morale et pour l’art… Beaucoup se sont indignés d’une telle bassesse. Quelques-uns ont exprimé directement leur indignation ; à d’autres, il a semblé que le meilleur moyen de combattre un art abject était de lui opposer un art élevé, et ils ont tenté de représenter l’amour dans une forme telle que « l’âme des lecteurs, » pour accepter l’expression manzonienne, y fût inclinée, mais en s’élevant, en se purifiant. Ceux-ci s’attendaient à être frappés de Iront, en pleine poitrine, par l’ennemi ; et voici qu’ils sont frappés aux épaules, par un puissant qu’ils se glorifiaient d’avoir avec eux. C’est un homme de génie, un grand poète, le plus grand poète que l’Italie ait possédé depuis des siècles ; c’est un profond connaisseur de l’âme humaine : il en a représenté, avec une égale puissance, de nobles et d’ignobles, de froides et de passionnées ; il en a mis en lumière, avec un art incomparable, les mouvemens intimes. Même si la question pendante était une question d’art, son seul vote contre un plébiscite de tous les temps pourrait faire réfléchir. Mais il n’en fait pas une question d’art, il en fait une question de morale. Or, ce grand poète est un catholique non moins ardent que Rosmini, il met au service de la foi catholique une logique non moins aiguë, non moins inflexible que celle de l’illustre philosophe, une lucidité d’intelligence encore plus lumineuse. Cette foi lui enseigne la morale la plus sublime que le monde ait entendue. Il la possède comme son bien propre, il l’a infusée dans le roman comme une inextinguible flamme de vie, qui anime tout, qui se retrouve dans chaque parole ; il l’a élevée, seule et haute, dans un livre pareil à une lumière de salut qui ne s’obscurcit pas. Si un