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que mon âme triste ne désire pas l’apprendre… (Sconforto). » Plaintes de jeune homme indécis, mélancolies que connaissent bien ceux qui ne sont pas entrés d’emblée dans une carrière déterminée, ceux qui ont tâtonné en cherchant leur voie, ceux qui, doués d’un talent encore inconscient de soi-même, ont payé leur tribut aux fatigantes oisivetés. Il en sortit en écrivant son premier livre : un petit poème intitulé Miranda, qui parut en 1874 et obtint tout de suite un certain succès, en partie à cause de son grand charme poétique et sentimental, en partie aussi grâce aux nombreuses relations que le père du jeune poète, alors membre de la chambre des députés, possédait dans le monde de la presse, de la politique, de l’art et du high-life.

Le plan, le ton, la qualité poétique de Miranda rappellent quelques-uns de ces poèmes familiers, issus d’Hermann et Dorothée ou de Louise, de Voss, qui, comme le Trompette de Saeckingen, de Scheffel, ou le Preneur de rats de Hameln, de M. Julius Wolf, jouissent d’une grande popularité en Allemagne. Le sujet en est d’une extrême simplicité.

Deux jeunes gens, Enrico et Miranda, s’aiment. Il n’y a nul obstacle entre eux : leur union, au contraire, réjouirait également la mère de Miranda, et le bon docteur qui est l’oncle d’Enrico. Mais Enrico est poète, il est ambitieux, il ne veut point engager sa vie dans un mariage bourgeois, borner son cœur aux étroites limites d’un premier amour. Il a le courage d’écrire ces choses à la jeune fille dont il a deviné l’amour dans une lettre d’ailleurs fort belle, qu’il lui laisse en partant. Puis il s’en va vivre la vie qu’il voulait, accidentée, aventureuse, riche de ces sensations violentes dont il croyait avoir besoin pour les changer en poésie. Un grand désir de toutes choses brûle en lui, et c’est avec toute l’ardeur d’une âme jeune et fervente qu’il s’avance vers l’inconnu promis à ses espérances :

« — Enfant, vers la lune — j’agitais mes petites mains, — et je demandais, je demandais des ailes, — pour monter de mon berceau, jusqu’au disque d’argent vagabond. — Entant négligé, obscur, — un âpre feu me dévorait alors, — pour les ivresses du monde et ses splendeurs. — Et, maintenant, je me sens des ailes. — Et maintenant, monde, tu m’appartiens. — Par l’enchantement des vers, — je t’entraîne ; à moi la gloire ! à moi l’amour ! »

Hélas ! cette ivresse n’est pas de longue durée : bientôt le jeune poète, que ses premiers succès avaient grisé, en sent la vanité. Les louanges qui ont accueilli ses livres, les amours faciles que lui a valu sa gloire naissante, n’ont point rempli son cœur, et voici se lever en lui le souvenir de son premier amour.