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peine, de physionomie ouverte, de politesse élégante. Il a cette grâce sans apprêt, cette simplicité d’allure, cette retenue correcte qu’on trouve assez souvent chez les Italiens des provinces du Nord, Lombards ou Vénitiens.

J’ai eu le plaisir de passer une journée avec lui, il y a quelques mois, dans sa petite villa d’Oria, sur le lac de Lugano : une délicieuse maison rose, qu’entoure un jardin en terrasse, où septembre semait l’exquise odeur de l’olea fragrans, d’une coquetterie si rustique, de couleurs si gaies, qu’elle semble dressée au milieu du féerique paysage qui l’entoure pour la poésie, pour le rêve ou pour le bonheur. Là, M. Fogazzaro se trouve au centre même du monde poétique qu’il a créé : sans quitter sa terrasse, il peut apercevoir la plupart des sites qu’il a chantés dans ses vers ou dans lesquels il a placé les scènes principales de ses romans. Ensemble, nous avons fait le tour du vallon de Valsolda, dont le nom a servi de titre à son premier recueil de vers. Je ne voudrais point me servir de cette conversation pour chercher à tracer de l’écrivain italien un portrait moral qui, d’ailleurs, serait tout à son avantage. Je puis dire pourtant qu’elle me montra une âme en harmonie avec les œuvres que je venais justement de lire, une âme douce et cependant capable d’exaltation, organisée pour le rêve, pour la contemplation et pour la création romanesque. Moins mystique peut-être que ses personnages de prédilection, M. Fogazzaro leur ressemble par bien des traits. Peut-être ces impressions personnelles, que la crainte d’être indiscret nous empêche seule d’étendre, nous aideront-elles à parcourir son œuvre, comme nous allons le faire avant d’en chercher les traits généraux.

C’est à Vicence que M. Fogazzaro naquit, en 1842, et c’est là qu’il fit ses études classiques, sous la direction de l’abbé Giacomo Zanella : un des poètes marquans de l’époque, qui rimait, selon la formule néo-classique, des vers très soignés, d’une élégance recherchée, que la finesse et la mesure propres à l’esprit vénitien empêchaient de tomber dans l’affectation. Après avoir fait son droit à l’Université de Turin, il passa ses examens d’avocat à la cour d’appel de Milan. Quoiqu’il n’eût pas l’intention de pratiquer le barreau, sa vie fut alors pendant quelque temps incertaine : des essais poétiques lui avaient inspiré le goût des lettres et le désir d’entrer dans la carrière littéraire ; mais il manquait de confiance en ses propres forces. Aussi, les poésies qu’il écrivit à cette époque trahissent-elles une tristesse découragée, une sorte de frayeur devant l’action qui cherche son réconfort dans des aspirations pieuses. Il se plaint de sentir sa pensée frappée à mort, son génie éteint, ses jeunes espérances trompées : « Épuisé, je me laisse tomber à terre, — parce que je ne sais pas la route, — et