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eux un associé qui prendra plus tard la direction de la maison. Un certain nombre de Barcelonnettes se marient au Mexique ; mais la plupart viennent chercher une femme au pays natal. Beaucoup, quand ils ont fait fortune, se fixent à Paris, mais surtout à Marseille. Ils aiment à restaurer la vieille maison paternelle dans la montagne et à y passer l’été. Le voyageur qui parcourt leur âpre vallée est tout surpris d’apercevoir de loin en loin une jolie villa à terrasse et peinte en couleur, suivant le goût mexicain. Ils répandent l’aisance dans le pays et leurs achats maintiennent aux terres un prix beaucoup plus élevé que celui comporté par leur peu de fertilité.

Le succès des Barcelonnettes est dû à leur âpreté au travail, à leur économie, à leur grande probité commerciale, enfin au soin avec lequel ils recrutent leurs collaborateurs parmi leurs parens et voisins. Ils évitent même de prendre pour commis de jeunes Français appartenant à d’autres provinces qui n’auraient pas les mêmes habitudes qu’eux. Cette puissance de travail et ces fortes mœurs, ils les doivent au régime domestique demeuré en vigueur dans ce coin perdu des Alpes. Un seul fils se charge du domaine paternel et ses frères et sœurs se contentent des soultes modérées que leur impose le testament des parens. Sous un pareil climat on ne saurait partager la maison, les étables et les pâturages qui forment un tout sans détruire le patrimoine. Les autres enfans émigrent soit à Marseille, soit au Mexique, sachant bien qu’ils y trouveront plus facilement le moyen de faire une carrière. Ils sont généralement récompensés par le succès, tandis que l’héritier associé poursuit une vie de rude labeur, n’ayant d’autre espérance que de voir un jour un de ses fils devenir l’associé de l’oncle du Mexique. Grâce à cette organisation domestique, une race saine se maintient dans la haute vallée ; les familles ne sont pas tentées de limiter leur fécondité, les jeunes gens destinés à l’émigration apprennent de bonne heure l’énergie et l’économie ; et la France compte à l’étranger un groupe de commerçans qui assurent un débouché régulier aux produits de ses industries de luxe.

Les Barcelonnettes sont très considérés. Quoique, par suite de leur éducation et de leurs mœurs un peu particulières, ils se mêlent moins que d’autres étrangers à la population, on leur sait gré de ne pas entrer en relations d’affaires avec le gouvernement, de ne pas être des contratistas comme les Espagnols et les Américains. La concurrence très vive, qui règne aujourd’hui au Mexique comme partout, la diminution des risques de toute sorte qu’entraînaient autrefois les dangers des communications et les troubles politiques, font que les profits commerciaux sont moindres, et que les