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presidio ou colonie militaire. Les Indiens, qui venaient s’établir autour de la mission, recevaient des terres aux titres divers de fundo légal, d’ejidos et de realengas : ces dernières étaient des terres arables, dans le voisinage immédiat du village, que l’on affermait pour faire face aux charges publiques[1].

En 1857, l’on a imaginé d’appliquer aux biens communaux des villes et des communautés indiennes le principe de la désamortisation et l’on a ordonné leur vente aux enchères ou leur partage entre les habitans. C’est un des exemples les plus caractéristiques du mal que peuvent faire les idées a priori. Cette loi a été exécutée complètement dans les villes qui sont ainsi privées d’un domaine auquel le temps aurait donné une plus-value certaine, et elles doivent depuis lors demander toutes leurs ressources à l’impôt. Quant aux communautés indiennes, elles ont opposé à cette loi une résistance passive qui, dans bien des localités, a été couronnée de succès. Là où elle a été appliquée et où l’on a partagé tout le territoire en propriétés individuelles entre les Indiens, les résultats en ont été généralement mauvais ; car la plupart ne sont pas assez avancés économiquement. Dans la Sonora, par exemple, où l’on a partagé les terres des Yaquis, qui sont principalement chasseurs et pasteurs, ces malheureux ont vendu leurs lots à des spéculateurs américains sans savoir ce qu’ils faisaient. Ils ont ensuite voulu les reprendre par la force et cela a été l’occasion d’une insurrection, qui a abouti comme toujours à leur extermination[2].

Même là où le partage des terres a eu lieu, les Indiens ont toujours un sentiment communal très intense. Établis en villages au milieu des grandes haciendas qui occupent la plus grande partie du territoire, ils louent comme colons partiaires ou fermiers une partie de ces domaines. Ils désireraient avoir de plus grandes étendues de terres en pleine propriété, sauf à ne les cultiver que partiellement en transportant chaque année leurs cultures sur une terre nouvelle ; car ce à quoi ils répugnent le plus, c’est à la culture intensive[3]. Ils sont donc portés à regarder les grands propriétaires

  1. Voyez Spanish colonisation in the Southwest, by Frank W. Blackmar (Baltimore, John’s Hopkins University, 1890).
  2. Ailleurs, les Indiens se montrent très en état d’exercer la propriété individuelle. Dans le village d’Amatlan, par exemple, près de Cordoba (État de la Vera-Cruz), qui est connu par ses riches costumes traditionnels, les Indiens, quoique ne comprenant pas pour la plupart l’espagnol, sont presque tous de riches propriétaires fort capables de se défendre contre ceux qui essaieraient de les tromper.
  3. Encore une fois il ne faut pas trop généraliser et surtout ne pas faire intervenir la question de race. À la porte de Mexico, les Indiens de Santa-Anita ont créé au milieu de marais de merveilleux jardins maraîchers, qui, comme type de petite propriété, valent les polders conquis par les jardiniers flamands sur l’océan.