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Assurément le courage de Cuanhtemoc, de Cuitlahuac et de Cacamatzin, les défenseurs héroïques de Mexico, est toujours bon à honorer et leurs statues sont pour les places publiques un motif plus original de décoration que celles de bien des héros modernes de pronunciamientos. Mais, quelque interprétation que l’on donne au mystère des antiquités aztèques et mayas, leurs monumens ne peuvent être comparés, même de loin, à ceux de l’Egypte, de la Babylonie, voire à ceux des Khmers. Il est surtout absurde de mettre leur science, leur technique, leurs arts, lors de la conquête, au-dessus de ceux de l’Europe à la même époque. Le développement de quelques industries textiles de luxe et de l’orfèvrerie peut se concilier, — l’exemple de l’Inde le prouve, — avec un état très arriéré des arts utiles. Les rares travaux publics dus aux souverains indigènes, dont on retrouve la trace, étaient exécutés au moyen de corvées qui épuisaient les populations, comme ceux des empereurs romains.

Des savans de valeur, don Joaquin Garcia Icazbalceta et M. Payne, d’Oxford[1], entre autres, ont fait justice de ces fantaisies historiques et montré que les Espagnols ont amélioré considérablement la condition des classes inférieures malgré les violences inséparables de toute conquête. Elles étaient soumises à un régime seigneurial qui donnait aux caciques le droit d’exiger des services et des redevances arbitraires. Le grand défenseur des Indiens, Las Casas, reconnaissait lui-même que leurs seigneurs naturels étaient plus exigeans que les encomiadores espagnols. L’esclavage personnel existait ; des ordonnances du Conseil des Indes l’abolirent. Enfin c’était le peuple qui fournissait exclusivement les milliers de victimes humaines immolées chaque année[2]. Cela explique la facilité avec laquelle il se convertit. Des masses innombrables réclamaient le baptême, détruisant avec enthousiasme les idoles et les temples à la voix des premiers missionnaires. Les prêtres et les nobles fut les seuls qui, en réalité, perdirent à la conquête. Sans doute le travail des mines que les Espagnols imposèrent aux Indiens fut la cause de grandes souffrances ; mais elles furent localisées sur certains points[3]. L’introduction des

  1. Don Fray Juan de Zumàrraga, primer obispo de Mexico (Mexico, 1881), p. 151 à 181. — History of the new world called America (Oxford, 1892, Clarendon press), t. I, VII, X, p. 203 et suiv.
  2. En 1487, la dédicace du grand temple de Mexico par Ahuitzotl, le prédécesseur de Montezuma, fut célébrée par le sacrifice de 72,344 victimes.
  3. D’après M Icazbalceta, la diminution de la population indigène, qui se produisit après la conquête, doit être attribuée aux grandes pestes qui ravagèrent l’Amérique comme l’Europe dans le cours du XVIe siècle.