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et est maître de lui-même. Le tonus moindre de ses nerfs fait, d’ailleurs, que leurs vibrations sont moins rapides et d’ondes moins courtes. Ainsi une corde de violon moins tendue a des oscillations plus longues et rend un son plus grave. Une certaine lenteur psychique, maintenue dans de justes limites, permet aux sentimens et idées antagonistes de se développer peu à peu par association et de contrebalancer l’impulsion du premier moment. Le flegmatique fort « s’échauffe doucement, dit Kant, mais garde plus longtemps sa chaleur. » Chez beaucoup d’hommes, ajoute-t-il, ce tempérament tient lieu de sagesse. Tous les projectiles qu’on lui lance en rebondissent comme d’un sac de laine. Le sang-froid joint à l’activité triomphe d’une foule d’obstacles. Même en ayant l’air de faire la volonté d’autrui, il met les autres d’accord avec lui. « Des corps d’un petit volume et d’une grande vitesse pénètrent dans ce qu’ils rencontrent ; d’autres d’une moindre vitesse, mais d’une plus grande masse, entraînent l’obstacle sans le briser. »

Emporté par son esprit de logicien, Kant se représente les divers tempéramens comme exclusifs l’un de l’autre. À l’en croire, si un tempérament était associé à un autre, ou bien ils se résisteraient, ou bien ils se neutraliseraient. Par exemple, le sang-froid du tempérament flegmatique est en opposition avec l’ardeur du tempérament colérique ; de même, l’humeur enjouée du sanguin léger et vif exclut le penchant aux idées sombres du mélancolique. Il n’y a donc pas, selon Kant, de tempérament composé ; « il y en a quatre en tout, comme il y a quatre figures du syllogisme déterminées parle moyen terme, » et « chacun d’eux est simple ; on ne peut dire à quoi serait propre un homme qui aurait un tempérament mixte. » Nous voilà donc tous renfermés dans quatre cases, comme les modes du syllogisme viennent se ranger dans les quatre figures ! Théorie artificielle qui provient de ce que la classification de Kant caractérise les tempéramens par leurs excès ou leurs défauts, sans remonter aux véritables causes physiologiques. Il est clair que la légèreté exclut le sérieux, que le calme exclut la colère, que la paresse exclut l’activité ; mais les qualités fondamentales dont ces défauts sont l’envers ne s’excluent point avec la même rigueur. S’il y a des combinaisons qui paraissent logiquement possibles et qui, psychologiquement ou physiologiquement, sont introuvables comme le dahlia bleu, il y en a d’autres aussi qui nous semblaient impossibles et que cependant la réalité nous offre : la nature n’est point esclave de notre logique incomplète et abstraite. De la sensation du bleu et de la sensation du jaune, la logique aurait-elle pu jamais déduire la sensation du vert ? L’étude des caractères a de ces surprises.