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des crédits excessifs, le voilà dépourvu pour d’autres dépenses. D’où vient, par exemple, que les tempéramens trop sensitifs sont ordinairement peu portés à l’action ? C’est que, outre la voie normale de l’action, il y en a deux autres par où peut se répandre et se distribuer l’énergie. La première est celle de la pensée : au lieu de se traduire en actions dans les membres, le sentiment peut s’employer à susciter des idées dans le cerveau. Quand Talma éprouvait quelque peine, il se mettait d’instinct, en vue de son art, à réfléchir sur les gestes par lesquels ses sentimens se manifestaient au dehors. Excellent moyen pour les métamorphoser en pensées froides ! Mais, d’ordinaire, les pensées suscitées par nos joies ou nos peines sont elles-mêmes agréables ou pénibles, ce qui engendre de nouveaux sentimens. De sorte qu’à la fin la sensibilité se dépense à se nourrir elle-même. C’est une sorte de tourbillon, de cyclone intérieur. Chez Rousseau, tous les sentimens s’amplifiaient de la sorte. « L’épée use le fourreau, voilà mon histoire. Mes passions m’ont fait vivre et mes passions m’ont tué. Quelles passions ? dira-t-on. Des riens, les choses du monde les plus simples, mais qui m’affectaient comme s’il se fût agi de la possession d’Hélène et du trône de l’univers. » — « Tout s’enrichit, disait aussi Diderot, tout s’exagère dans mes sentimens, dans mon imagination et dans mes discours. » Supposez un tempérament de ce genre, chez qui le système nerveux et le système musculaire ne soient pas en parfait équilibre, ou chez qui les fibres sensitives des nerfs aient plus de vitalité que les fibres motrices, vous aurez un homme plus porté à sentir qu’à agir et à faire effort. Son tempérament prendra une direction centripète plutôt que centrifuge ; il sera intégrateur plutôt que désintégrateur. De là les deux grandes classes d’hommes qu’on appelle les sensitifs et les actifs.


II

Le type sensitif et le type actif, à leur tour, doivent se subdiviser chacun en deux variétés. Cette subdivision n’est pas artificielle : elle découle nécessairement du principe même de notre classification. En effet, quoique le rapport mutuel de l’entretien et de la dépense dans l’organisme en général suffise à fournir les deux grands types fondamentaux, il est essentiel de considérer plus particulièrement ce même rapport dans le système nerveux. Ce système, en effet, est le régulateur destiné à maintenir dans tout le reste de l’organisme l’équilibre de la recette et de la dépense, comme aussi du sentir et de l’agir ; il est le