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remarqué que presque tous témoignaient du profit tiré par leurs auteurs des observations dues à leurs maîtres ou à leurs confrères en même temps que de leurs propres réflexions.

Le groupe des Lutteurs n’est pas le seul qui reparaisse dans ces conditions. C’est encore au Salon de 1890 qu’on avait déjà vu le groupe énergique et dramatique de M. Vital Cornu, Archimède, martyr de la science, commandé par la ville de Paris, le groupe tendre et émouvant de l’Adieu d’une mère à son fils par M. Loiseau-Bailly, commandé par l’État, celui de la Veuve embrassant son enfant, qui a les mêmes qualités, par M. Texeira-Lopès. Tous ces ouvrages se sont sensiblement améliorés et complétés en repassant dans l’atelier. On voit qu’en général il faut un laps de trois ans pour faire passer un groupe de sa forme provisoire dans sa forme définitive, lorsqu’il s’agit d’un marbre. Une figure isolée, ou coulée en bronze, demande naturellement moins de temps, et nous saluons des connaissances plus récentes dans le douloureux Crucifix de M. Myslbeck, remarquablement simplifié depuis l’année dernière, dans la Danse de M. Pech, et dans un nombre incalculable de bustes.

Parmi les groupes nouveaux, à l’état de projets, qui nous sont soumis aujourd’hui, plusieurs montrent, de la part de leurs auteurs, un effort sérieux pour réunir plusieurs figures dans une action bien définie. L’un des plus intéressans est le Caïn de M. Boverie, dans lequel l’artiste, sans inscrire au livret les vers de Victor Hugo, s’est inspiré de la célèbre Légende des siècles, la Conscience :


« Vous ne voyez plus rien ? » dit Tailla, l’enfant blond,
La fille de ses fils, douce comme l’aurore ;
Et Caïn répondit : « Je vois cet œil encore. »


L’ancêtre criminel est assis, sur un rocher, les cheveux et la barbe en désordre ; à sa droite, à ses pieds, à genoux, la douce Tsilla s’efforce de l’embrasser et de le consoler, mais lui, craignant que l’enfant n’aperçoive, elle aussi, le grand œil vengeur qui le poursuit, lui cache les yeux de la main avec une impression navrante de terreur, de honte, de compassion et de prudence affectueuses. Les deux figures, dans ces attitudes effrayées, se présentent d’une façon très clairement et simplement tragiques. Le groupe colossal de M. Captier, l’Esclave et la Furie vengeresse, nous montre un énorme Spartacus entraîné vers la révolte par une Furie échevelée et cuirassée qui vole à son côté en le tirant par la main. Rien n’est plus éloigné de la mode actuelle