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une démonstration. Derrière lui sont posés des livres et une cornue. L’âge, l’intelligence, la vigueur, l’autorité, la volonté, l’enthousiasme de l’homme sont rendus avec une vivacité forte et ample qui s’adresse aux yeux sans truchement et qui n’a pas besoin de commentaires ; c’est de la bonne sculpture iconique.

M. Fagel a sans doute connu Chevreul, il n’a donc eu qu’à se souvenir, en artiste, de la réalité pour créer une image exacte et vivante. Pour représenter Caton d’Utique, Marguerite de Navarre, Mme Roland, ses confrères, MM. Labatut, Gauquié, Carlier ont dû se livrer à un plus grand effort d’imagination. Le modèle du Caton d’Utique avait été un des succès du Salon de 1890 ; nous avons eu l’occasion d’en parler longuement et nous devons constater que l’exécution définitive, énergique et soutenue, tient toutes les promesses du modèle. Les deux figures de MM. Gauquié et Carlier sont destinées à la maison d’éducation de la Légion d’honneur à Saint-Denis. Cette destination semblait indiquer dans quel sens les personnalités de ces deux femmes, intelligentes et charmantes, qui eurent toutes deux leurs heures de faiblesse et leurs heures d’héroïsme, pouvaient être accentuées en cette occasion afin de servir de bons exemples à de jeunes pensionnaires. Ni l’un ni l’autre des deux artistes ne semble avoir été profondément pénétré de ce vieil axiome, sans doute démodé, que la première qualité d’une œuvre d’art est de parfaitement convenir, matériellement et moralement, au lieu qu’elle doit décorer. Madame Roland, sans doute, est très ressemblante, et se présente avec dignité, mais n’était-ce pas le cas de joindre à cette dignité une expression plus fière et plus hardie de ce mâle courage ? Quant à la Marguerite de M. Gauquié, c’est, sans nul doute, une bonne statue, bien campée, bien étoffée, avec de l’aisance et de la gaîté, mais c’est précisément cette extrême gaîté qui nous offusque. Sans doute, la Marguerite des Marguerites fut gaie, joviale aussi, égrillarde même, si l’on veut, lorsqu’elle dictait ou écrivait l’Heptaméron. Et ce qu’elle écrit, aux Champs-Elysées, c’est bien ce libre Heptaméron, et, pour mieux indiquer sa pensée, l’artiste, dans le profil souriant et un peu railleur de la reine, a souligné à plaisir toutes les ressemblances avec le profil de son libertin de frère, le nez extravagant, les lèvres abondantes, le gros œil bridé. Cependant, il y eut, avant et après l’Heptaméron, une autre Marguerite que celle-là, la femme délicate, dévouée, compatissante, la femme de tête et de cœur, d’une ouverture d’esprit tout à fait haute et rare, la négociatrice de Madrid, la protectrice des persécutés, celle qui fut la fleur de la France et l’honneur de la renaissance !


Corps féminin, cœur d’homme et tête d’ange !