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difficile d’imaginer que cette peinture, préparée en camaïeu, n’a pas encore revêtu cette belle enveloppe de teintes harmonieuses qui est l’irrésistible séduction des rêveries de M. Puvis de Chavannes. Tel qu’il se présente, avec un petit nombre de personnages juxtaposés et clairsemés, dont les attitudes et les physionomies n’ont rien d’inattendu, ce carton gris a paru quelque peu vide et froid. Quant au gros public, qui n’y entend pas malice, il s’étonne d’abord de voir le grand poète romantique revêtir la toge classique pour se présenter à la ville de Paris. Une composition si simple ne peut évidemment prendre sa valeur que par le caractère donné à chaque figure, c’est-à-dire par l’accent, la précision, l’énergie ou le charme du dessin.

La toile de M. Roll, le Centenaire de 1889, est destinée à remplir, dans le musée de Versailles, la place occupée naguère par le Couronnement de Napoléon Ier, de Louis David, aujourd’hui transportée au Louvre. Un si redoutable souvenir devait échauffer la volonté de l’artiste, et, en effet, dans aucune des œuvres précédentes de M. Roll, on ne trouve les marques d’une réflexion plus attentive et plus constante, d’un effort plus énergique et plus suivi, d’un travail plus consciencieux et plus varié. Sous le rapport de la composition, M. Roll a tiré, sans nul doute, le meilleur parti qu’on puisse tirer d’une cérémonie officielle. L’imprévu n’est guère de mise en ces sortes de représentations ; cependant, un véritable artiste sait toujours leur donner de l’intérêt en y exprimant, suivant son tempérament propre, soit la vie collective de la foule, curieuse ou émue, surprise dans son mouvant ensemble, soit la vie particulière de chacun des individus qui prennent part à la cérémonie. Nos dessinateurs français du XVIIIe siècle, observateurs spirituels et compositeurs alertes, Cochin et Saint-Aubin, nous ont donné, dans des proportions réduites, des spectacles inoubliables de multitudes en fête. Louis David, dans le fameux Couronnement, Heim, dans sa Distribution des récompenses, ont montré ce qu’un assemblage de portraits exacts pouvait assurer d’intérêt à ces procès-verbaux solennels. M. Roll, bon Français, a pensé aux uns et aux autres ; il a voulu, à la fois, nous faire voir le mouvement d’enthousiasme agitant la foule pressée autour du président de la république lorsque M. Carnot vient de rappeler la grandeur des hommes de 1789 et nous conserver le souvenir des personnages les plus notables, dans toutes les catégories de citoyens, qui ont, ce jour-là, approché de plus près les représentans du pouvoir. Sur le premier point, M. Roll a complètement réussi. Déjà, dans sa Fête du 14 juillet, si joyeuse et si mouvementée, il avait prouvé ce qu’il savait faire en ce genre ; mais, ici, il était beaucoup moins libre. La bousculade des gens échauffés qui applaudissent, agitent