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à leur secours, fit lever le siège et passa une monstre d’honneur (revue), où tous ces héros défilèrent, vêtus du sarrau, l’habit de droguet à grandes basques, vert pour les chefs, blanc pour les soldats, veste de couleur blanche, aux poches profondes qui servaient de giberne, serrés à la taille par une ceinture de cuir noir ; culotte blanche, longues guêtres assujetties par des jarretières en laine rouge ; sur la tête un chapeau triangulaire ou un bonnet de laine blanche, terminé en pointe. Derrière les bourgeois se rangeaient modestement les femmes et les filles armées de piques. À Besançon, le prince de Vaudemont fut secondé vigoureusement par le peuple, et par un capucin, le père Schmidt, Hollandais d’origine, jadis lieutenant-colonel de cavalerie, qui dirigea l’artillerie et le génie avec un rare talent, fit échouer la première attaque de Vauban, et tua plusieurs centaines de Français dans l’espace de deux heures. La ville se défendit vingt-sept jours et elle aurait résisté davantage si Vauban n’eût fait hisser sur les hauteurs de Chaudanne quarante canons qui foudroyèrent les murs, et rendirent la lutte impossible. Le père Schmidt réussit à gagner la petite ville de Faucogney, où son patriotisme ardent, son habileté exaltèrent les courages au point que les habitans tinrent trois jours en échec le corps du marquis de Resnel, et lui tuèrent 300 hommes. Les défenseurs du château ne se rendirent qu’à la dernière extrémité, au moment où, le feu ayant été mis à la ville, et l’incendie ayant gagné le château, ils allaient périr étouffés par la fumée ; beaucoup d’habitans furent passés au fil de l’épée ; quant au père Schmidt, on le déclara prisonnier de guerre, malgré la capitulation, et pour le punir « de s’être montré rouge, » on l’enferma à la Bastille jusqu’en 1678.

Quatre ans après, la paix de Nimègue rattacha définitivement à la France cette Comté qui désormais fera partie de sa zone héroïque, et confondit leurs destinées. Plus d’États ; Louis XIV avait juré de les maintenir, mais les commis des États, appelés à confirmer les taxes établies, refusèrent de s’assembler après la seconde conquête, et leur désobéissance servit de prétexte pour se dispenser de les convoquer dorénavant. Le parlement rétabli, augmenté en nombre, limité aux affaires civiles, transféré de Dole à Besançon, avec l’Université et la chambre des comptes ou cour des monnaies, cette ville revêtue de la dignité de capitale, enrichie, fortifiée par Vauban, indemnisée ainsi de la perte de sa constitution républicaine ; une administration habile, énergique, mais compliquée et coûteuse, peu de liberté, de lourds impôts, — en revanche, les hôpitaux tenus en perfection, les affreux chemins d’antan transformés en excellentes routes, le commerce plus actif, l’argent plus abondant, la population s’accroissant d’année en année, les pouvoirs concentrés entre