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interceptant les convois, détendant pied à pied les bois, les rivières, les termes, portant au besoin la terreur dans les campagnes de la Bresse et brûlant la ville de Trefiort en guise de représailles, délivrant ainsi la Comté des faucheurs ou gatadours du marquis de Villeroy qui s’avançaient le plus près possible des remparts, et coupaient les blés sur pied, dernière ressource des garnisons affamées. Mais le baron d’Amans eut une heure de défaillance : oublié malgré ses grands services, ne pouvant obtenir la paie de ses soldats, impuissant à contenir les désordres occasionnés par la faim, il fit un éclat ; ses troupes furent licenciées ; demeuré sans emploi, il se rendit en Piémont, porta les armes contre l’Espagne, finit par obtenir une amnistie, rentra en Comté et mourut pauvre. Il avait, comme Lacuzon, l’audace, le goût des aventures périlleuses, et plus que lui, un désintéressement absolu, respectait les femmes, se montrait humain envers l’ennemi, bon époux, bon père, et ses adversaires eux-mêmes l’avaient surnommé le cavalier d’honneur. Mais Lacuzon, lui, jusqu’au bout resta fidèle à la cause de l’indépendance nationale : tel nous le voyons pendant la guerre de dix ans, tel nous le retrouvons en 1668, en 1674. La légende, le roman, se sont emparés de lui ; des documens sérieux l’ont mis en pleine lumière : royaliste et catholique ardent, patriote farouche, aussi dédaigneux du droit des gens et de la vie humaine qu’insouciant de la légalité, fort enclin, comme tant de ses contemporains, à se faire justice soi-même, toujours prêt à aller quérir des bœufs en France avec l’épée et le flambeau. Détail curieux : lorsqu’il allait en venir aux mains, sentant parfois ses membres trembler, comme il advenait à Henri IV, il s’écriait en se mordant : « Ah ! chair ! il faut que tu pourrisses ! qu’as-tu peur ? » Au demeurant, très âpre au gain, processif en diable, habile à se tirer des mauvais pas où l’engage la violence de son caractère et de son tempérament ; il trouva des cœurs dévoués, car il se dévouait lui-même, et ses qualités sont bien à lui, si ses fautes sont parfois celles de son temps. Un procès devant le parlement de Dole, en 1658, des dénonciations pour excès de pouvoir de toutes sortes, filles abusées, femmes ravies, concussions, double homicide commis en temps de paix, voilà certes de quoi ébrécher cette grande réputation. Réels ou exagérés, Lacuzon sut mettre à néant ces griefs ; sa popularité, ses exploits militaires, non moins que sa prud’homie et sa vigilance contre les sorciers, le firent innocent. N’avait-il pas, à force de démarches, envoyé dans les prisons de Lons-le-Saulnier deux femmes de Grasse « parce qu’elles allaient au sabbat montées sur un cheval blanc, et là faisaient bonne chère ? » L’une d’elles fut brûlée vive.

Quatre villes cependant refusaient toujours de se rendre et