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être juge pour le comté de Bourgogne dans la ville de Besançon et construisit dans cette ville un palais de style flamand, qui, par certains aspects, rappelle la maison Plantin à Anvers, et demeure une des curiosités de la province ; sur quelques chapiteaux de l’étage de la cour, on lit la devise des Granvelle : Sic visum superis ; il y apporta, — et ses fils continuèrent son œuvre, — ses meubles, livres et tableaux les plus précieux. La statue d’Antoine, le quatrième de ses quinze enfans[1], doit être placée au milieu de la cour intérieure, et l’on n’a que trop retardé ce légitime hommage à l’un de nos plus illustres compatriotes ; il hérita en effet des talens paternels, porta sa fortune plus loin encore : évêque d’Arras, archevêque de Malines et de Besançon, cardinal, vice-roi de Naples, chef du conseil suprême d’Italie, ministre pendant trente ans de Philippe II qu’il servit avec prudence, faisant prévaloir le plus souvent possible les idées de modération et de clémence. Il ne voulait pas introduire l’inquisition dans les Flandres, condamnait les confiscations et cruautés du duc d’Albe, les arrêts sanguinaires du conseil des Troubles, avait adouci dans leur application les édits ou placards de Charles-Quint contre les hérétiques, prétendait gouverner avec les lois antiques du pays, en respectant les privilèges des provinces, les droits légitimes de la population[2]. Ses conseils eussent conservé sans doute les Pays-Bas à la monarchie ; les mesures de rigueur, opinait-il sagement, consumeront toute la substance de l’Espagne et de l’Italie. « Vous savez, écrit-il, si mes opinions ont été sanguinaires ou doulces… et en si long temps avez pu connaître mes entrailles… J’ai toujours recommandé que l’on s’accommodât à l’imperfection des subjets, et ayant esté le plus offensé, j’ay toujours persuadé le doux chemin. » Mais Philippe II, prince indécis et défiant, neutralise sans cesse les desseins les mieux concertés : « Tout va de demain à demain, et la principale résolution en toutes choses est de demeurer perpétuellement irrésolu. » Un instant même le roi sembla retirer sa faveur à son fidèle serviteur, il l’envoya en Bourgogne sous prétexte d’intérêts

  1. Il y a 25 ans déjà M. Weiss a légué 2,000 francs pour l’érection d’une statue au cardinal de Granvelle.
  2. Simon Renard : Ses ambassades, ses négociations, sa lutte avec le cardinal de Granvelle, par M. Tridou. — Castan, Monographie du palais Granvelle à Besançon, 1886. — Marlet, Note sur la généalogie des Perrenot de Granvelle. — D. Lévesque, Mémoires pour servir à l’histoire du cardinal de Granvelle. — Ch. Weiss, Notice préliminaire des papiers d’État du cardinal de Granvelle. — Voir aussi, dans la collection des documens inédits pour servira l’histoire de France, les Papiers d’État du cardinal de Granvelle ; publication continuée et achevée par l’Académie royale de Belgique. — Charles Duvernoy, Besançon, 1839, Notice sur les maisons de Granvelle et de Saint-Mauris Montbarrey.