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Louis Gollut, et ce Pierre Mathieu qui, en dépit d’un style inégal et trop abondant, laisse parfois échapper de sa plume des pages d’une réelle élévation. Ce sont encore Grivel, Pétremand, Saint-Mauris et ce Claude Belin, confident du cardinal de Granvelle qui lui mande un jour cette réflexion : « Qui veult vivre en court, il faut qu’il souffre beaucoup et avec bonne patience, et qu’il se saiche faire et dissimuler l’espoir pour enter les jalousies et traverser des émulateurs. » Il n’est si mince bourgade qui ne puisse revendiquer un homme de talent, et la Comté fournit à ses souverains son contingent de brillans capitaines : parmi eux, Philibert de Chalon, dernier descendant de la branche cadette des comtes de Bourgogne[1].

Né en 1502, fils de Jean de Chalon-Arlay IV et de Philiberte de Luxembourg, femme d’un esprit supérieur qui parmi ses ancêtres comptait des rois et des empereurs, élevé par elle à Nozeroy, au milieu des montagnes du Jura, le prince reçut l’éducation d’un seigneur féodal : il apprit tant bien que mal à lire et écrire, mais surtout le métier des armes, et ces images de la guerre, la chasse, les joutes et tournois, dont raffolaient nos ancêtres, où bientôt il excella. À quinze ans, il est gouverneur du comté, chevalier de la Toison d’or ; la cour de France s’efforce de l’attirer, et Philiberte l’y conduit plusieurs fois, cherchant à maintenir la balance égale entre les deux couronnes, car s’il était Bourguignon par son père, il était Français par sa principauté d’Orange, ses fiefs de Dauphiné et de Bretagne[2]. Il fallut cependant opter : un ordre sévère de Charles-Quint le ramène en Comté, il prend part à la guerre contre François Ier, ses terres de France sont confisquées : blessé au siège de Fontarabie, fait prisonnier en Italie, soumis à une captivité étroite, rendu à la liberté après la bataille de Pavie, à peine a-t-il revu son pays, que la nostalgie des combats le ressaisit, et, suivi de quelques écuyers, il s’élance à travers nos montagnes, franchit en toute hâte le duché de Bade, le Tyrol, les États vénitiens, rejoint enfin dans le Milanais le connétable de Bourbon, traître à la France, auquel l’empereur a confié le commandement de son armée. Nommé capitaine d’avant-garde, général des chevau légers, lié bientôt d’amitié avec le connétable, Philibert combat à ses côtés, au premier rang, lorsque son chef tombe, frappé mortellement, sous les murs de Rome. Il couvre d’un manteau le corps, s’élance à la muraille, entre dans la ville, après un premier assaut de deux heures, et, acclamé généralissime dans l’espèce de chaos qui suivit la victoire, assiste à la

  1. Académie de Besançon, année 1873, Philibert de Chalon, par Ed. Clere.
  2. La suzeraineté ne donnait droit qu’à l’hommage du vassal, à la reprise du fief et à l’aide en cas de guerre ; la souveraineté était le plein exercice du pouvoir avec toutes ses attributions, politiques, législatives, judiciaires.