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Henri IV voulut en finir avec le duc de Mayenne et la guerre civile que Philippe II déchaînait sur la France ; deux de ses capitaines, Louis de Beauvau-Tremblecourt et d’Haussonville, envahirent la Comté avec 6,000 Lorrains, mais ils durent reculer devant le connétable de Castille qui amenait d’Italie 10,000 Espagnols ; Henri IV accourut, battit Mayenne à Fontaine-Française et jeta en Comté 25,000 hommes. Il n’y eut pas tentative sérieuse de conquête, mais une guerre de représailles et de rapines ; tout le bailliage d’Amont se ressentit de ces « grandes pilleries, actes inhumains, et cruautés inutiles. » Pesmes, pris d’assaut, éprouva tout ce que peut faire le vainqueur et tout ce que peut craindre le vaincu, et non-seulement Pesmes, mais maint autre château et bourg fortifié. Vesoul se racheta en versant 12,000 écus. Besançon en promit 30,000, dont 27,000 seulement furent payés. Le capitaine Morel, l’héroïque défenseur d’Arbois, lut inhumainement pendu à un tilleul par Biron, malgré la capitulation signée de sa main, et un contemporain traduisit naïvement la pensée du soldat-martyr.


Ne vous travaillez pas à me faire un tombeau,
Mes chers amis d’Arbois, de porphyre ou de marbre.
Assez m’honorera où je fus pendu l’arbre,
Car vous ne m’en pourriez ériger un plus beau[1].


À Poligny, les habitans, au lieu de la rançon exigée, offrirent au roi une statue de la Vierge en vermeil et de grand prix. « À Dieu ne plaise, s’écria-t-il, que je retienne la mère de mon maître ! » Et ils durent livrer des otages jusqu’à l’entier paiement de 20,000 écus. L’entrée d’Henri IV dans Arbois lui aurait fourni l’occasion de lancer un très joli mot. On venait de lui présenter le vin d’honneur, il le trouvait excellent[2] et en faisait compliment. « Ah ! sire, nous en avons encore du meilleur. — Vous le gardez sans doute pour une meilleure occasion ? interrogea le roi. » — Une fois sa récolte terminée, Henri IV, qui ne voulait pas se brouiller avec les Suisses, consentit au rétablissement du pacte de neutralité.

Penseurs, écrivains, artistes, jurisconsultes, éclosent à l’envi aux XVIe et XVIIe siècles, donnent un nouveau lustre à notre province : la dynastie lettrée des Chifflet, Gilbert Cousin de Nozeroy, secrétaire d’Érasme, Jacques Prévost de Gray, Claude Goudimel de Besançon, François Richardot, évoque d’Arras, sorti d’une famille mainmortable de Morez et l’un des hommes les plus éloquens de son temps,

  1. E. Bousson, le Capitaine Morel ou le Siège d’Arbois en 1595.
  2. Les vins de Comté, pendant le moyen âge et jusqu’au XVIIIe siècle, jouissaient à l’étranger d’une grande et juste réputation.