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bons personnages, sorte de conseil adjoint composé des principaux nobles et ecclésiastiques. Le parlement ne manqua point de répondre copieusement, invoquant les services rendus, les ordonnances des ducs de Bourgogne et de la maison d’Autriche, force lettres de Marguerite où il était consulté, employé par elle à toutes les affaires importantes, son crédit auprès de Philippe II et ses successeurs lorsque la Comté fut annexée aux Pays-Bas. Tant bien que mal, l’archiduc Albert termina le conflit par un règlement de 1613 qui réserve au gouverneur les affaires purement militaires, au parlement celles de police et de justice : au fond, ce dernier l’emportait, et, poursuivant ses avantages avec cet esprit de suite et de tradition qui donne tant d’avantages aux corps constitués, il couronnait son usurpation pendant le XVIIe siècle, enlevait au gouverneur jusqu’à ses attributions militaires, levées de troupes, répartition des quartiers, subsistances, logemens et étapes, et se montrait tantôt à la hauteur, tantôt au-dessous de ses ambitions ; mais puisqu’à cette époque l’Espagne se désintéressait de plus en plus des affaires de l’Europe centrale et semblait abandonner à elles-mêmes ses provinces lointaines, il fallut bien que quelqu’un ramassât l’autorité tombée. Et, par un de ces hasards qui confondent la superbe de l’homme collectif et individuel, le moment même où il concentre tous les pouvoirs est celui où il va les perdre ; 1665, l’année où sa prépondérance s’affirme absolument, est bien près de cette année 1668 où, surpris, démoralisé, il livra la province aux armées de Louis XIV et s’écroula misérablement.

VI. — LA DOMINATION AUTRICHIENNE ET ESPAGNOLE, LES GRANVELLE.

À la mort de Charles le Téméraire, on vit représenter une de ces tragi-comédies dont l’histoire est si prodigue, qui consacrent le triomphe des forts, des habiles, des persévérans. L’heure de la revanche a sonné pour Louis XI, qui se hâte d’envahir la Bourgogne, d’occuper la Franche-Comté, sous prétexte de garder le droit de Marie de Bourgogne, sa proche parente et filleule, destinée au dauphin. Un instant séduits par les promesses du roi de France, bientôt désabusés, les Comtois épousent résolument la cause de la fille du duc, se lèvent en masse, et, guidés par le prince de Chalon-Orange, par Claude de Toulongeon, homme de guerre de grand renom, et Guillaume de Rochefort, chassent les garnisons françaises, recherchent l’appui des Suisses, naguère encore leurs plus terribles ennemis. Même ils essayèrent d’entrer dans la Confédération helvétique, et les Bernois favorisaient leur demande, mais la jalousie des petits cantons, la crainte de voir diminuer leur influence par l’augmentation du nombre des grands