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l’empoisonne. Mais si l’on opère avec des pressions fortes, comme l’a fait Paul Bert, on arrive à un résultat très singulier et bien différent. Le regretté physiologiste, pensant retarder l’effet funeste de la compression en chargeant l’air d’une proportion considérable d’oxygène, pour empêcher l’influence toxique de l’acide carbonique, ne fut pas médiocrement surpris en voyant que ces efforts n’aboutissaient qu’à des catastrophes plus rapides. En analysant les phénomènes, il vit, en effet, que dans la compression considérable (supérieure à 6 atmosphères) l’oxygène de l’air, acquérant une tension très grande, devient un poison, comme il l’est pour l’animal respirant à la pression normale, dans un milieu riche en ce gaz, ainsi que nous l’avons vu plus haut. Et ce qui prouve que l’oxygène est bien le coupable, c’est le fait qu’un animal supportera fort bien une pression de 20 atmosphères, si l’air est pauvre en oxygène, si l’oxygène, y étant plus rare, y possède une tension ne dépassant guère celle qu’il a dans l’air normal, à la pression habituelle. Sous une tension trop grande ou, ce qui revient au même, une trop grande abondance, l’oxygène est toujours un poison, et des plus redoutables, et c’est pourquoi l’animal et l’homme meurent dans un milieu atmosphérique normal, du moment où la pression y dépasse certaines limites. Rapide ou lente, la compression tue par excès d’oxygène, et, somme toute, si on laisse de côté les cas où les variations de pression sont rapides, et où, comme dans la décompression brusque, il se mêle un facteur purement mécanique, on voit que les variations graduelles agissent non d’une façon physique, mais de manière purement chimique, en mettant l’organisme en présence d’un air trop riche ou trop pauvre en oxygène.

Il convient d’ajouter qu’ici comme ailleurs, il y a des phénomènes d’accoutumance[1] : les Indiens et les animaux des Cordillères, par exemple, ne souffrent pas du mal de montagne qui saisit le voyageur, et les animaux des grandes profondeurs vivent sous des pressions que nul être terrestre ou littoral ne pourrait supporter. Ceci ne change d’ailleurs pas la face du problème ; pour les uns et pour les autres, il y a des diminutions et des augmentations de pression, qui sont fatales, et au point de vue général, le fait que les adaptations sont différentes n’a nulle importance ; les différences sont de degré et non de nature, et l’ordre des phénomènes est le même.

Nous pouvons donc dire que l’influence des variations de

  1. Des travaux récens, dus à MM. Müntz et Regnard, ont en effet prouvé que le sang de l’animal transporté dans les hauteurs ou soumis à une décompression expérimentale de quelque durée, acquiert la propriété d’absorber une plus grande quantité d’oxygène. De là l’influence bienfaisante des séjours dans les montagnes.