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les tissus, et ils reviennent à ceux-ci, riches de ce dernier gaz, pauvres en oxygène, c’est-à-dire très impropres à l’entretien de la vie. Et ces globules sanguins conservent leur acide carbonique au contact de l’atmosphère impure, parce qu’ils ne peuvent s’en débarrasser qu’à la condition que la tension de ce gaz soit supérieure dans les globules à ce qu’elle est dans l’atmosphère ; or, l’atmosphère étant plus riche en ce gaz, il y a une tension supérieure à celle qu’il a dans les globules ; il ne tend donc pas à quitter ceux-ci, il y reste et asphyxie l’animal, en portant la mort dans ses tissus. Avant d’amener celle-ci, il détermine une anesthésie marquée que Bichat a bien mise en lumière, au moyen d’expériences consistant à faire passer, dans la carotide et les centres nerveux d’un animal, du sang veineux chargé d’acide carbonique d’un autre animal de même espèce. Du reste, même en application locale sur la peau il produit une insensibilité locale, une anesthésie connue depuis longtemps, et qui a été souvent utilisée. Pline rapporte, en effet, dans son Histoire naturelle, que le marbre, mélangé au vinaigre, endort les parties sur lesquelles on l’applique, de telle sorte que l’on peut couper et cautériser celle-ci sans provoquer de douleur. L’agent anesthésiant est ici l’acide carbonique, que l’action de l’acide acétique du vinaigre sur le carbonate de chaux met en liberté.

Quand l’acide carbonique est mis à même d’agir non plus sur une partie, mais sur la totalité de l’organisme, comme dans les cas où il est inhalé par les poumons, il détermine une anesthésie générale, qui a été étudiée par divers expérimentateurs, et que l’un d’eux, M. Ozanam, a trouvée si satisfaisante qu’il n’a pas hésité à recommander l’acide carbonique comme agent anesthésiant, à la place de l’éther ou du chloroforme. Ce conseil n’a guère été suivi, à notre connaissance, et il est douteux que les chirurgiens soient jamais très portés à employer un agent aussi redoutable. On connaît un certain nombre de cas où l’homme a été profondément intoxiqué par l’acide carbonique, sans que la mort se soit cependant produite. Dans tous ces cas, il y a eu une anesthésie complète, précédée, au dire de quelques-uns des patiens, d’un état délicieux, où ils se croyaient entourés d’une musique exquise et de lumières très brillantes. Mais cet état précède de peu une perte de connaissance complète, qui, si l’agent toxique continue à pénétrer dans le sang ou à ne pas s’en dégager, se transforme sous peu en un sommeil éternel. Les cas de mort par acide carbonique ne sont pas rares : on en observe dans tous les lieux où se font des fermentations alcooliques, autour des cuves des brasseurs et des vignerons, et partout où s’exhale de l’acide carbonique naturel