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spéculation que des orateurs, bien intentionnés sans doute, mais peu au courant des conditions essentielles du crédit public et de la vie économique d’une grande nation moderne, sont venus dénoncer à la tribune. Il est juste de reconnaître que les intéressés, absorbés dans une vaine querelle de coteries, n’ont rien fait de ce qui était nécessaire pour éclairer la religion surprise des législateurs sur les inconvéniens et les périls qui allaient découler de la mesure en discussion. Au lieu de faire front à l’impôt dans un effort commun, ils ont essayé d’en tirer un parti avantageux pour leurs intérêts personnels, au détriment des intérêts de la partie adverse. Les agens de change voyaient surtout dans le futur impôt un moyen de rendre la vie impossible à la coulisse ; les coulissiers crurent qu’une organisation habile de la perception de l’impôt conduirait à la suppression du privilège des agens de change et à la reconnaissance du marché libre.

L’impôt voté, on s’aperçut que l’application en serait très difficile. Le texte de la loi n’était pas suffisamment explicite ; le règlement d’administration publique, élaboré par le conseil d’État, n’a pas rendu ce texte plus clair, et les questions soulevées ont été tout à fait obscurcies par la publication de l’instruction adressée par le directeur-général de l’enregistrement aux agens de son administration.

Effrayés par l’appareil si compliqué des déclarations préalables, de la tenue du répertoire et du sens de l’expression « commerce habituel, » appliquée à la réception et à l’exécution des ordres de Bourse, les banquiers et les spéculateurs se sont mis pratiquement en grève. Plus d’opérations au jour le jour, plus d’arbitrages. Le grand marché de Paris a présenté pendant plusieurs jours l’aspect d’une très petite Bourse de province.

Les chefs de plusieurs grandes maisons de banque se sont réunis pour délibérer sur la situation qui leur était faite par certains termes ambigus de la loi nouvelle, et ont résolu de présenter leurs observations au ministre des finances. Celui-ci les a reçus le 13 courant, et leur a donné de bonnes paroles, promettant que la loi serait appliquée dans un esprit libéral. Il est certain que banquiers, agens de change et coulissiers préféreraient de beaucoup qu’elle ne fût pas appliquée du tout. Mais la loi est la loi, et supposer que l’on puisse faire revenir la législature, à un mois de date, sur une mesure par laquelle elle croit fermement avoir porté un coup terrible à l’esprit malsain de spéculation, ressemble fort à espérer contre toute espérance.

La fermeté a prévalu sur les marchés de Londres, de Berlin et de Vienne. L’emprunt d’Orient, par exemple, a été porté de 68.25 à 69.65, le Consolidé russe 4 pour 100 est en hausse de près d’une unité à 99.70, le Hongrois, de 96.25, s’est élevé à 97. La rente italienne, sur la reconstitution du ministère Giolitti, s’est établie au-dessus de 93 et a