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ne tire pas à conséquence ; on sait qu’elle passera en seconde lecture à quarante voix de majorité, ni plus ni moins, et cela suffit. Quant à la troisième lecture, ce n’est qu’une assez vaine formalité. Ce n’est qu’après le vote du bill par la chambre des communes, suivi, on le sait d’avance, du rejet par la chambre des lords, que commenceront pour l’illustre « premier » les véritables difficultés. Que fera-t-il ? S’il a recours à une dissolution immédiate, et si les élections se font par conséquent sur la question du home-rule, il est presque certain que M. Gladstone sera battu. Personnellement, il ne serait sans doute pas réélu dans son collège actuel du Midlothian, ce qui ne l’empêcherait pas d’en trouver un autre ; mais le parti hybride dont il est le chef ne résisterait certainement pas à une nouvelle consultation du pays, dont l’opinion, sur ce sujet, n’est déjà plus ce qu’elle était l’année dernière.

Nous savons qu’on ne se fait là-dessus aucune illusion dans le cabinet britannique ; aussi évitera-t-on à tout prix d’en appeler aux urnes. M. Gladstone et ses lieutenans préféreront, afin de mettre la chambre haute dans son tort, la montrer rebelle à tout progrès, en lui donnant l’occasion de repousser quelques projets de loi démocratiques, qui lui arriveront fraîchement adoptés par la chambre des communes. Pour mener à bien cette campagne, le cabinet libéral peut compter sur la discipline de sa majorité aux communes, et il n’aura que le choix entre les lois pour lesquelles l’hostilité des pairs est connue : tel sera, par exemple, le bill relatif au « désétablissement » de l’église anglicane, c’est-à-dire à la séparation de l’État et de l’Église, dans le pays de Galles et en Écosse, tels les bills ayant pour objet le paiement des députés ou la revision de la loi électorale, — un vote par personne, — qui empêcherait le même individu d’exercer plusieurs fois de suite son droit de suffrage.

On sait que la loi de 1884, actuellement en vigueur, contient de curieuses anomalies : elle tient pour électeurs tous ceux qui possèdent un domicile personnel, et exclut de l’électoral toute personne vivant sous le toit d’autrui, si bien qu’un ancien ministre, membre influent du parlement, comme le marquis de Hartington, domicilié à Londres jusqu’à l’an dernier chez son père, le duc de Devonshire, n’avait pas le droit de vote, tandis que le portier de son hôtel, dont la loge est un bâtiment séparé, de l’autre côté de la cour, est inscrit sur les listes électorales. La même loi permet à tout citoyen de voter dans chacune des circonscriptions où il réunit les conditions requises pour avoir la qualité d’électeur. Comme le fait remarquer le comte de Franqueville, dans son livre sur le Gouvernement et le parlement britanniques, un négociant votera dans la cité de Londres où sont situés ses bureaux, dans le quartier de Kensington où se trouve son domicile, dans celui de Battersea, où est placée son usine, dans le comté de