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toire donne des avantages, mais elle crée des devoirs ; » ces devoirs, M. Constans les passe en revue : le premier de tous, c’est le maintien de l’ordre, qu’obtient « la main douce et ferme du pouvoir ; » non pas seulement de l’ordre matériel, mais de l’autre, auquel l’orateur n’a pas osé donner l’épithète de « moral, » sans doute pour ne pas paraître chausser les pantoufles du duc de Broglie, mais qu’il définit en termes suffisamment clairs pour qu’on ne puisse s’y tromper, lorsqu’il dit que le premier résultat de cet ordre, pour lequel « le rôle de l’armée est inutile, » c’est « la paix sociale qui s’obtient par la tolérance pour les idées. »

Il ajoute : « Les républicains doivent donc être tolérans, » — c’est ici de la tolérance religieuse qu’il s’agit, — et il se hâte de définir cette tolérance, « un respect bienveillant de la liberté d’autrui, même lorsqu’elle nous gêne. » « C’est presque une vertu, aussi la pratique en est-elle difficile. » Elle l’est même davantage pour les foules que pour les hommes d’État. Les masses ne se plaisent pas dans cet état moyen, aussi éloigné de la persécution que de l’indifférence, qui est l’apanage de quelques esprits élevés. Elles passent sans transition d’un extrême à l’autre, tuant les incrédules quand elles sont dévotes, persécutant les prêtres quand elles sont incrédules ; elles n’arrivent souvent à la liberté de conscience que par le scepticisme, parce qu’elles ne supportent la contradiction que sur les sujets qui ne les intéressent pas. M. Constans, tout en rendant hommage à l’action conciliante du pape qui a séparé la politique de la religion, et tout en déclarant qu’il se réjouit de voir cesser les hostilités anciennes avec les catholiques ralliés, met pour condition au bon accueil qu’il propose de leur faire l’acceptation par ces derniers « des lois démocratiques qui sont le patrimoine » du régime actuel. Là est, en effet, la pierre d’achoppement de la réconciliation, si souvent tentée, si souvent échouée, des hommes raisonnables de droite avec les hommes raisonnables de gauche. Pourtant la question a fait de grands pas depuis quelques mois. Pour la loi militaire, tout en regrettant quelques-unes de ses rigueurs, les ralliés n’en contestent plus le principe égalitaire ; ils voudraient seulement que, puisque les ecclésiastiques doivent en temps de guerre être employés comme infirmiers, on utilisât les douze mois que les séminaristes passent sous les drapeaux à en faire des infirmiers habiles, plutôt que des soldats sans utilité probable. Il y a trois ans que les républicains modérés réclament cette application de la loi, qui peut se faire par décision administrative, sans rien modifier du texte. En ce qui regarde la loi scolaire, les ralliés acceptent le principe de l’école laïque, pourvu que la laïcité de l’école primaire soit entendue comme celle des lycées et collèges où l’État entretient des aumôniers, avec la liberté, bien entendu, pour les familles, d’user ou non de l’instruction religieuse. C’est aussi une des réformes que beau-