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« Ce sera un mauvais parlement, mais un mauvais parlement ne saurait arrêter la marche de l’histoire du monde. » Car le monde est, comme une meule, ébranlé par l’effort d’un hardi et puissant ouvrier, il tourne en écrasant l’obstacle : des pierres du chemin, il fait des grains de poussière, et des parlemens qui résistent, l’empereur, tournant la formidable meule, fait des éclats de fausse souveraineté.


I.

Voilà donc, encore une fois, le Reichstag allemand mis en morceaux. Peut-être commence-t-il un peu à s’y accoutumer. Il ne faut pas être un bien vieux député pour se souvenir au moins d’une aventure semblable. Le 12 janvier 1887, — il n’y a que six ans, — à la suite du rejet par le parlement d’un autre projet de loi militaire, le projet dit du septennat, M. de Bismarck fit justement ce que M. de Caprivi vient de faire. Il en appela du Reichstag au pays. M. de Bismarck, on peut le croire, n’avait pas, avant de prendre cette résolution énergique, tant négocié que M. de Caprivi, ni recouvert d’un gant de velours sa poigne de fer. Point de compromis : il avait voulu tout ou rien. Il ne demandait pas, il exigeait ; ce n’était pas lui qui avait tenté une conciliation, mais ses adversaires. Et quels adversaires ? Doux, traitables, s’offrant au sacrifice, jusqu’à un certain point. Mais passé ce point, ils s’entêtaient, de toute l’obstination dont sont capables plusieurs têtes allemandes réunies dans le même bonnet. M. de Bismarck y mit, de son côté, toute son opiniâtreté habituelle. Le Reichstag ne contestait pas sur le principe ; il ne se refusait pas à augmenter les effectifs ; il voterait le budget militaire, tel quel, accru si on le désirait, mais il voulait le voter annuellement, comme les autres dépenses. L’empereur y tenait-il absolument, l’opposition ferait une concession encore : on accorderait pour trois ans les cinquante mille hommes que le chancelier estimait nécessaires ; mais pour sept ans, non pas, c’était s’imposer un trop long silence, se condamner soi-même à une trop longue inutilité.

Et c’est ici le joint ; c’est ici que la question devenait une question politique. Il ne s’agissait plus de savoir si l’Allemagne aurait ou non cinquante mille hommes de plus sous les drapeaux, mais bien s’il y avait un Reichstag allemand ou si, dans l’empire, il n’y avait que l’empereur avec son chancelier. Et puis, quand il aurait ajouté ces cinquante mille hommes aux quatre cent cinquante mille qu’il avait déjà, quand M. de Moltke les aurait façonnés et se les sentirait en main, qu’est-ce que M. de Bismarck en ferait ? Hanovriens, Bavarois et Saxons, à quoi emploierait-il tous ces Allemands pour le roi de