Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/828

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« M. Mérimée me quitta fort malheureux. Quelques heures après, il m’écrivit que l’impératrice appréciait ma réserve respectueuse, mais ne renonçait pas à mes conseils. Le lendemain, le prince de Metternich vint faire auprès de moi une démarche à peu près pareille à celle qu’avait faite M. Mérimée… Je répétai qu’après Sedan, je ne savais quels conseils donner. »

Je ne m’arrêterai pas à tout ce que M. Thiers met sur les lèvres de Mérimée. Une question impérieuse, vitale, domine tout. Quel jour a eu lieu cet entretien ? M. Daru, présent à la déposition de M. Thiers, insiste pour qu’on précise les heures, et, chose incroyable, la date du jour reste incertaine. M. de Loménie affirme bravement que l’entrevue de Thiers et de Mérimée est du 4 septembre. Il n’a donc lu ni ce qui précède ni ce qui suit. Tout le monde sait que le 3 septembre au soir, M. Thiers n’était pas au Comité de détense, mais à la chambre ; qu’après la séance de nuit, il ne s’est pas promené à pied avec Jérôme David, mais qu’il est retourné chez lui, dans sa voiture, avec Jules Favre. Qui croira que Mérimée ait pu écrire le soir du 4 septembre à M. Thiers, pour le « remercier, » au nom de l’impératrice et lui dire qu’elle ne renonçait pas à ses conseils ? Qui croira que, le lendemain 5 septembre, l’ambassadeur d’Autriche soit venu implorer M. Thiers en faveur d’une dynastie renversée depuis vingt-quatre heures ? Donc, l’entretien a eu lieu le 2 ou le 3. Mais ni dans la nuit du 1er au 2, ni dans celle du 2 au 3, Jérôme David ne pouvait annoncer à M. Thiers la capitulation de Sedan, que les députés de la gauche soupçonnèrent seulement le matin du 3 et que Jérôme David, comme tous les autres ministres, connut par voie indirecte dans l’après-midi du même jour, entre trois et cinq heures. Je dis : par voie indirecte, car la dépêche officielle de l’empereur à l’impératrice m’a été remise, le 4, à quatre heures moins dix, alors que la souveraine avait déjà commencé la première étape de l’exil. Je suis sorti des Tuileries, avec cette dépêche dans ma poche, sans avoir eu le temps de la déchiffrer.

Ainsi, M. Thiers n’a pu parler de Sedan à Mérimée ; il n’a pu lui opposer cette écrasante fin de non-recevoir. Que reste-t-il de sa déposition ? Rien que ce fait : l’impératrice l’a appelé à son secours, et il lui a « respectueusement » tourné le dos. Elle lui a dit : « Que faut-il faire ? » et il a répondu par cette plaisanterie cruelle : « Entendez-vous avec Bazaine ! » Je ne crois pas que M. Thiers eût consenti à lever le petit doigt pour sauver l’empire. L’eût-il voulu, il ne le pouvait pas. Il ne pouvait rien. Un courant plus fort que toutes les volontés emportait les hommes et les événemens.

Le soleil du 4 septembre se leva, un de ces beaux soleils qui