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avec celui qu’il appelle, dans une de ses lettres, « le futur président de la république. » Les discours de M. Thiers lui semblaient impolitiques et passionnés, mais il l’avait quelquefois trouvé un peu plus sage dans ses conversations particulières. Il risqua donc un suprême effort, non pour émouvoir sa pitié, mais pour tenter à la fois son ambition et son patriotisme.

M. Thiers a raconté cette entrevue aux membres de la commission d’enquête du 4 septembre. Il s’était, leur dit-il, promené sur les quais et sur le pont de Solférino jusqu’à une heure avancée de la nuit en compagnie de M. Jérôme David, qui sortait avec lui du Comité de défense et qui l’avait mis au courant de la capitulation de Sedan. Après un court repos, il était parti à cinq heures du matin pour aller visiter les fortifications de Paris et n’était rentré qu’à midi. C’est alors qu’il lut une lettre de Mérimée, apportée dans la nuit, et qui lui annonçait sa visite pour le jour même. En effet, il parut peu après. « Il était mourant, » dit M. Thiers, et on peut facilement s’imaginer l’entrée de ce tragique orateur pour qui toute parole était une souffrance, de ce moribond qui apportait le message d’une souveraine déjà à demi détrônée. Je laisse parler M. Thiers :

— Vous devinez pourquoi je viens, me dit-il.

— Oui, je le devine.

— Vous pouvez nous rendre un grand service.

— Je ne puis vous en rendre aucun.

— Si, si… Je connais votre manière dépenser. Les questions dynastiques ne vous occupent pas. Vos pensées sont tournées surtout vers l’état des affaires. Eh bien, l’empereur est prisonnier ; il ne reste qu’une femme et un enfant. Quelle belle occasion de fonder en France le gouvernement représentatif !

— Après Sedan, il n’y a plus rien à faire, absolument rien.

Mérimée n’insista pas. Il demanda seulement à M. Thiers s’il refuserait ses conseils à l’impératrice. M. Thiers répondit, « avec tout le respect dû à la situation et au malheur de la princesse au nom de laquelle parlait M. Mérimée, » qu’il n’avait pas de conseils à donner. Soutenir ou remplacer le ministère, il ne le voulait à aucun prix. Quant à l’abdication de l’empereur, c’était à un serviteur dévoué comme l’était Mérimée qu’il appartenait de prendre l’initiative d’un pareil avis. Restait la direction à donner aux affaires militaires : « Si j’en étais chargé, je tâcherais de me mettre en rapport avec le maréchal Bazaine, de lui demander son avis, de lui donner le mien ; et, si nous n’étions pas d’accord, c’est son opinion que je suivrais, parce qu’il est sur les lieux, et chargé d’exécuter les opérations que je pourrais ordonner… »