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en branle ? Vieilles plaisanteries qui dataient peut-être du temps de Pappenheim et de Montecuculli : nous y avions encore foi il y a trente ans !

Dès 1865, Mérimée avait connu personnellement Bismarck. Il était à Biarritz lors de ce fatal séjour où le ministre prussien vint étudier l’empereur, comme autrefois Cavour à Plombières, mais en sens inverse. Car l’un avait voulu savoir ce qu’on pouvait faire avec lui, l’autre ce qu’on pouvait faire sans lui et contre lui. Un matin, Mérimée se promena pendant trois heures sur la terrasse de Biarritz avec Bismarck, et il put prendre la mesure de l’homme. Après 1866, il ne faisait plus un projet à quelques mois de distance sans ajouter : « Si M. de Bismarck le permet. » Mais la puissance même et le génie du personnage le rassuraient. Il le croyait déjà repu de gloire et désireux d’assurer les résultats acquis ; il comptait sur l’envie qu’ont les joueurs heureux de faire Charlemagne. Il comparait le vague malaise de la France, après Sadovra, à a l’angoisse étrange qui saisit les spectateurs du Don Juan de Mozart, lorsqu’ils entendent les mesures qui préludent à l’entrée du commandeur. » Et, quand le commandeur parut, il eut envie de rire comme les autres : « Rien de plus comique, écrit-il en 1867, que M. de Bismarck en casque et en cuirasse ! »

Le 7 juillet, lorsqu’il apprit la candidature d’un prince de Hohenzollern au trône d’Espagne, il écrivit à Panizzi : « Il n’y aura point de guerre, à moins que M. de Bismarck ne le veuille absolument. » Pour lui, si on l’avait appelé au conseil, il eût proposé la dépêche suivante : « Si le prince de Hohenzollern est élu roi, je laisse entrer en Espagne alphonsistes et carlistes, fusils, poudre et chevaux. » Quelques jours se passent ; la guerre est déclarée. Il sent la gravité de la partie. « Une défaite nous met en république d’un coup. » On répète autour de lui « que nous avons, pour l’armement, la même supériorité que les Prussiens en 1866, » mais il craint « que nos généraux ne soient pas des génies. Ils ont grande confiance : moi, je meurs de peur ! Je viens de verser 500 francs pour les blessés, je vais en donner mille pour tuer des Prussiens. » L’empereur part pour l’armée. L’enthousiasme populaire se maintient, les hautes classes donnent l’exemple du dévoûment. Mérimée constate que les « cocodès » s’apprêtent à iaire leur devoir : « Un Rothschild est parti, ces jours passés, avec son sac et son pain sur le dos, dans un wagon de troisième classe de ce chemin de fer du Nord dont sa famille possède 20,000 actions. Il s’est fait montrer par son valet de chambre comment on cire les souliers et on fait de la soupe[1]. »

  1. Correspondance avec la comtesse de Montijo, 6 août 1870.